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Le 12 octobre vous avez découvert le projet d’accomplissement personnel, nommé plus communément « Fugue », d’un jeune garçon. (à lire ou relire ici) Mais comme tout projet... sa mise en place prend souvent des tournures inattendues... Suive- le aujourd’hui dans cette nouvelle étape de réalisation de soi, où l’appel du ventre sera tout aussi important que l’appel du lit.

L’autre ombre au tableau, et pas des moindres, c’est qu’il embarque avec lui son meilleur copain. Un petit bonhomme de neuf ans, ce petit homme collé à la vitre du bureau depuis un bon moment. Je le fais entrer à son tour pour avoir sa version du périple à venir. Sa motivation vient de son dévouement amical si puissant qu’il ne peut refuser cette invitation au voyage. Pourtant, il avoue avoir peur. Il appréhende leur première nuit dehors. Il a peur des loups, des araignées, des sangliers, des serpents, des hiboux, des ours, des aigles et aussi des grenouilles. Mais ce qui lui fait peur par-dessus tout, c’est le noir de la nuit et les bruits alentours. Dure réalité à laquelle il va s’affronter. Mais notre grand aventurier le rassure. Il sera là pour le protéger et s’ils en viennent à croiser l’un de ces prédateurs, il saura le tuer pour le cuisiner et nourrir son petit copain de voyage.
Les deux garçons répondent à toutes mes questions, rétorquent à toutes mes inquiétudes, démontent tous mes arguments et font mine de mettre fin à la conversation quand j’entame la partie moins rigolote : la confrontation au réel. Sauf que nous avions un deal. Je les laisse me parler des heures s’il le faut, ils doivent aussi écouter ce que j’ai à leur dire.
Je leur explique toute la procédure de fugue.
Je leur parle de police, même de gendarmerie. Je leur énonce la procédure interne, mais également la procédure liée à la protection de l’enfance. J’évoque l’aide sociale à l’enfance, le juge et … les parents. Ils discutent entre eux, font des messes basses et jouent même avec les peluches posées sur mon bureau. Mais lorsque “papa et maman” apparaissent dans ce long monologue, je sens les petites oreilles se tendre. Le plus jeune finit par baisser la tête et demande à son camarade s’il peut quand même me poser une question. Il se lance avec une grande inspiration et finalement un flot de questions déferle : « Mais tu vas appeler ma mère ? Et tu vas lui dire quoi ? Et si elle pleure tu vas faire quoi ? Et si elle le dit à mon père, tu crois qu’il va la taper ? Et la police si elle nous retrouve, elle va nous mettre en prison ? Et la juge quand elle le saura, elle va nous changer de foyer ? Et qui va dormir dans notre chambre quand on sera parti ? Et vous allez prendre de nouveaux enfants, dès demain ? »
C’en est trop. Le grand s’impatiente. Il n’a peut-être pas envie d’entendre les réponses à toutes ces questions. Il ordonne au plus petit de prendre ses affaires et me prévient, l’heure du départ est arrivée.
Retournement de situation, une de mes collègues rentre à cet instant. Un silence poignant est installé dans ce grand bureau. Elle éclate de rire face à cette situation étrangement pesante sans savoir de quoi il en retourne. Je lui explique brièvement le projet de ces messieurs qui profitent de notre dos tourné pour prendre la porte sans un bruit. Nous tentons bien de les arrêter mais en vain. Ils sont bel et bien partis.
Notre conversation aura duré deux heures et quinze minutes. Ils auront pris la poudre d’escampette en moins de cinq minutes se faufilant dans des trous de grillage préalablement creusés.
Procédures enclenchées. Branle-bas de combat amorcé.
Trois patrouilles de gendarmerie, un hélicoptère et un chien sont déployés sur le territoire pour les retrouver. Le foyer est en effervescence.
Minuit et dix minutes nous sommes en alerte à la vue des lumières bleues qui remplissent la pièce. Des voitures se font entendre, les fourgons suivent, les chiens hurlent. Nous sommes pris d’une petite appréhension. Nous espérons surtout qu’ils les aient retrouvés sans égratignures.
Ils sont là. Sains et saufs.
Le petit se jette dans nos bras, il a eu peur, très peur.
Le grand est stoïque. Il écoute d’une oreille le sermon des gendarmes en mangeant son “Sneakers” et son “Mars” gentiment donnés par les patrouilles. De longues minutes plus tard, les équipes de sauvetage mettent fin à cette intervention et prennent la route.
Aussitôt, la porte du dernier véhicule claquée, notre grand garçon jette ses papiers de biscuits au sol pour se libérer les mains afin de leur faire son plus beau geste d’honneur accompagné de sa plus belle insulte. Mais à la vue de la portière qui se rouvrait, il prit la fuite. Non plus dans la forêt mais dans sa chambre où son lit douillet l’attendait comme à l’accoutumée.
Où étaient-ils ? Dans une maison abandonnée à quelques kilomètres du foyer. Ils ont été retrouvés par les chiens, balais en main, faisant un brin de ménage avant de déguster une belle carcasse de poulet trouvée sur leur route, dans une poubelle. Ils n’eurent finalement pas le temps de savourer leur festin. Cette épopée s’est soldée par deux jours cloués au lit, la fièvre a eu raison d’eux.