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► LE BILLET de Vince • « Arrêtez votre bla-bla » !

« Malgré les recommandations du CAMSP, du CMPP et de la PMI qui se basaient sur un diagnostic de TSA, Dylan n’a jamais été orienté vers la MDPH, si bien que sa situation est assez rapidement arrivée dans les circuits de l’ASE via la CRIP et que la MJIE exercée par le STEMO a donné lieu à une AEMO visant à travailler l’adhésion de la famille à un projet d’accueil séquentiel en ITEP ».
En tant que non initié au savoir expérientiel du travailleur social, il est fort à parier que tu n’auras rien compris à la phrase ci-dessus. Et c’est tant mieux ! Parce que la technicité de ce jargon s’avère au final être un véritable bourbier dans lequel les experts finissent eux-mêmes par se perdre.
En gros, je pourrais te traduire tout de même le sens de cette formule usuelle aussi technique qu’indigeste par : « c’est vraiment la merde pour Dylan parce que ses parents avaient refusé une orientation précoce adaptée ». Il semblerait même que l’on puisse mesurer le degré de complexité d’une situation par le volume d’emploi d’acronymes. Autrement dit, plus on repère ces occurrences dans un rapport éducatif, plus il est permis d’avoir de vraies inquiétudes.
Il est probable aussi que cet usage jargonneux ne soit qu’une stratégie pour tenir éloignés les profanes de tout savoir, une manière d’assoir une sorte de suprématie professionnelle. Il est vrai que lorsqu’on a peur d’être compris par une famille, il n’y a rien de mieux que d’user et d’abuser de sigles ou d’expressions alambiquées. La fonction de ce langage technocratique est d’ériger une barrière de protection entre une culture professionnelle dominante et la supposée ignorance des usagers. Les travailleurs sociaux les plus aguerris à ces techniques se garderont bien de traduire convenablement leurs propos aux personnes concernées. Ces dernières risqueraient de comprendre, c’est dangereux. Parfois elles pourraient trouver elles-mêmes des solutions et mettre ainsi en péril la légitimité professionnelle des « sachants ».
A l’heure où l’application de la loi 2002-2 nous invite à mettre enfin en œuvre une vraie participation des usagers au cœur des dispositifs d’accompagnement, il serait temps de pratiquer le « parler vrai ». Il ne s’agit pas de vulgariser ou de simplifier à outrance des propos en prenant les gens pour des imbéciles. Il s’agit simplement d’honnêteté et de transparence. Se rendre accessible, c’est être en capacité de mettre en accord sa pratique et ses écrits.
Sommes-nous toujours capables d’assumer ce que nous écrivons sur les personnes ? A la lecture de certains rapports ou évaluations, j’en doute. L’écriture est toujours un exercice distancié qu’il convient de réinscrire autant que possible dans un rapport de communication. «  Arrêtez votre bla-bla » renvoient parfois certains usagers à nos services et ils ont raison.
Car le pire peut et doit aussi pouvoir s’écrire, autant que se dire. La forme prend alors une importance capitale. Nos charabias ne sont que des filtres dont les usagers ne sont pas dupes. Il ne s’agit pas d’édulcorer les propos. Mais chaque phrase, chaque mot, chaque tournure doivent non seulement pouvoir être lus mais également parlés et débattus. Pour parler il faut d’abord se comprendre et ne pas se cacher derrière le blindage de verbiages surplombants.