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✖ TRIBUNE - Pourquoi je préfère être éducateur que policier !
Le ministère de l’intérieur ne sait plus où donner de la tête pour éteindre les incendies allumés aux quatre coins du pays par les bavures policières. Arrestations brutales provoquant la mort de la personne interpellée, discours racistes banalisés, violence récurrentes, arbitraire dans l’usage de l’autorité, mensonges et dissimulation dans les témoignages, provocations et humiliations régulières, instrumentalisation de la justice pour faire condamner les victimes de bavures, etc. N’en jetez plus, la coupe est pleine ! Le livre que vient de publier le journaliste Valentin Gendrot, qui s’est infiltré dans la police en s’y faisant recruter, est édifiant … mais risque malheureusement d’avoir peu d’effets, tant les témoignages s’accumulent, sans que rien ne change.
Pourquoi l’impunité règne ?
Cynisme, déni et contre-vérités sont les seules réponses d’un gouvernement à qui les syndicats policiers rappellent régulièrement que les forces l’ordre sont les derniers remparts entre le pouvoir et la rue en colère. Message reçu 5/5 ! On peut comprendre le calcul : mieux vaut défendre les exactions de certains policiers que d’affaiblir le dispositif de maintien de l’ordre. Personne n’a oublié l’épisode du 25 avrill 2019, le jour où 48 des 61 CRS d’une compagnie basée à Orléans s’étaient mis en arrêt maladie. Nos gouvernants moins que quiconque !
Du côté des syndicats de police, le réflexe corporatiste est tout aussi compréhensible. Le travail qui est demandé à ce corps de fonctionnaires est éprouvant : sous effectifs chroniques, locaux parfois délabrés, surcharge de travail (accumulation de 23 millions d’heures supplémentaires), pression psychologique pesant sur le taux de suicide (supérieur de 36% à celui de la moyenne des français) etc. Et puis, il y a cette situation paradoxale qui les amène à réprimer le mouvement social qui s’oppose aux politiques néolibérales dont ils ont été parmi les premières victimes (9 000 postes supprimés sous la présidence Sarkozy). Alors oui, on peut comprendre la volonté syndicale de protéger le corps professionnel qu’elle représente. Mais, si l’on doit attendre que les politiques se montrent eux-mêmes exemplaires dans les moyens d’action fournis, avant d’exiger que tous les policiers le soient, on est mal parti !
Mais, d’un côté comme de l’autre, le refus de combattre les violences illégitimes commises par une minorité est un pari contreproductif qui ne peut que se retourner contre les forces de l’ordre envers qui la méfiance, voire la haine, montent dans une partie de la population et plus particulièrement de la jeunesse.
Pourquoi l’ASE 44 a bien fait son travail ?
Après tout, n’est-ce pas là un registre traditionnel qu’une direction défende ses salariés et que des professionnels en fassent autant pour leurs pairs ? Un fait divers récent vient démontrer que ce n’est pas le cas pour l’Aide sociale à l’enfance de Loire Atlantique. Et on ne peut que s’en réjouir.
Pourtant, cette administration s’était couvert de honte, fin juillet 2015, en décidant de cesser toute prise en charge des mineurs isolés non accompagnés. Certes, le flux de leur arrivée dans le département était passé de 51, quatre ans plus tôt, à 265. Pour autant, la loi faisant obligation aux ASE de prendre en charge tout mineur bénéficiant d’une ordonnance judiciaire de placement provisoire, la décision de refuser de s’y soumettre revenait à se placer hors-la-loi. Et c’est ainsi que cette ASE s’afficha alors, refusant plusieurs fois d’affilées d’obtempérer aux injonctions du tribunal administratif qui avait été saisi en référé, pour la contraindre à accueillir deux jeunes maliens de 15 et 16 ans dormant dans un squat. Il avait fallu une condamnation à une astreinte quotidienne de 100 euros par mineur, pour que cette administration cède enfin. Bel exemple que cette institution dédiée à la protection de l’enfance qui fut alors obligée d’accomplir sa mission … sous la menace d’une amende ! La réaction récente de cette même administration, à la suite d’un fait divers traumatisant, a emprunté une direction totalement opposée, faisant de sa gestion de crise un cas d’école quasiment exemplaire.
L’ASE de Loire Atlantique avait confié aux Pupilles de l’enseignement public (PEP), association expérimentée dans l’animation, la mission d’organiser une « colonie apprenante » du 6 juillet au 21 août. Ces séjours d’une durée d’une semaine ouvert à chacun à vingt participants, étaient destinés en priorité aux enfants âgés de 3 à 17 ans pris en charge soit au titre d’un suivi en milieu ouvert, soit dans le cadre d’un placement. Le poste de directeur adjoint de l’un des deux centres concernés, celui de La Ducherais, fut confié à un éducateur spécialisé. Le 14 août, les PEP le licenciait pour faute grave, tout en déposant plainte contre lui : il était accusé d’attouchements sur trois enfants. La réaction de la direction de l’ASE fut immédiate : intervention sur les lieux en soutien à l’équipe, rapatriement des enfants présents, information transmise aux familles et aux enfants ayant séjourné depuis le début de l’été, écoute singulière assurée à l’intention des enfants ayant été en contact avec le professionnel suspecté, cellule d’écoute psychologique mise à disposition des professionnels du département souhaitant y avoir recours… Une volonté de transparence et de réactivité, une prise en compte du traumatise à tous les niveaux, une coordination de tous les acteurs concernés, la réaction fut à la hauteur de la situation et les réponses adaptées à sa gravité. Seul regret exprimé par un acteur proche du dossier : « les moyens mis en œuvre par la justice pour mener une telle enquête semblent dérisoires avec un simple enquêteur pour une affaire qui concerne potentiellement soixante-dix victimes, ce qui va conduire les enfants, les parents et les professionnels à attendre longtemps avant d’avoir une vérité judiciaire ». La « colo apprenante » n’est pas allée à son terme, les professionnels qui l’encadraient étant trop choqués pour pouvoir continuer sereinement. A la suite de l’enquête menée sur place par la gendarmerie, le mis en cause a été placé en garde-à-vue, déféré au parquet, mis en examen pour agression sexuelle sur mineurs de 15 ans et incarcéré. Il ne nous revient pas d’avoir à condamner cet éducateur spécialisé, ni de le maudire pour avoir sali notre profession. Ce n’est pas parce que ce dont il est accusé nous répugne qu’il n’aurait pas le droit de bénéficier de la présomption d’innocence (il nie les faits et parle d’une cabale contre lui). Laissons la justice suivre son cours. Mais, nous pouvons au moins être sûr d’une chose : si la violence subie par un enfant de la part d’un parent proche est l’une des pires situations qui puissent lui arriver, il y a sans doute encore plus grave : une agression par la personne qui est chargée de le protéger !
Pourquoi la confiance ne doit pas être rompue ?
Quelles leçons retirer de cet événement particulièrement nauséabond ?
Constatons tout d’abord, quand même, qu’aucun de ses collègues n’a fait de faux témoignage pour couvrir le mis en cause qui n’a pu déposer plainte pour « outrage à agent , qu’aucune hiérarchie n’a fait traîner l’enquête, qu’aucun ministre n’a déclaré qu’il n’y avait pas eu de violence et que le professionnel n’avait fait que son travail. Cela ne vous rappelle rien ? N’insistons pas !
Quel impact cet évènement aura-t-il ?
Certains parents d’enfant placé en profiteront sans doute au mieux pour affirmer ne plus avoir confiance dans les services sociaux, au pire pour les accuser d’être encore bien pire qu’eux !
Des associations se revendiquant comme les champions des droits de l’enfant vont peut-être, elles aussi, s’en prendre aux professionnels en prétendant, comme d’habitude, qu’ils auraient du savoir ce qu’il allait se passer et réussir à éviter de tels dégâts.
La justice et l’administration vont éventuellement enclencher des enquêtes pour rechercher des responsabilités connexes.
D’autres encore vont considérer qu’on en a fait trop ... ou pas assez.
Tout ce que l’on peut dire avec certitude, c’est que nul n’est à l’abri de recruter un professionnel, sans se douter des pulsions malsaines qui le rongent. Faut-il pour autant faire peser sur chaque adulte en contact direct avec des enfants un soupçon systématique ? Faut-il dorénavant que chacun exerce une surveillance sur ses collègues (masculins de préférence) ? Faut-il à l’avenir proscrire toute présence isolée d’un adulte avec des enfants ? Tout cela apparaît tout à fait déraisonnable.
Que faut-il donc faire, alors ? Peut-être, commencer par éviter la psychose collective, en rappelant que pour insupportable que soit cet évènement, il ne peut être généralisable aux 65 000 éducateurs spécialisés en fonction dans notre pays.
Ensuite, mesurer que le risque zéro ne pourra jamais être atteint et que les mesures prises pour tenter d’y arriver peuvent parfois être encore pire.
Enfin, si les violences faites aux enfants doivent être combattues sous toutes leurs formes, sans aucunes hésitations, il en existe qui sont elles aussi destructrices, sans que cela n’émeuve grand monde : mineurs étrangers isolés laissés à l’abandon, manque de places de scolarisation pour certains enfants porteurs de handicap, délais d’attente à rallonge pour les mesures de soutien éducatif au risque de voir leur situation s’aggraver, parents avec enfants laissés à la rue par manque de solutions d’hébergement au 115 etc.
Dans tous les cas, à défaut de remplir la mission impossible de tout prévoir et tout prévenir à l’avance, être en capacité de réagir avec célérité et pertinence. Ce que l’ASE de Loire Atlantique et ses partenaires ont su mettre en œuvre dans cette affaire particulièrement glauque.
Au final, dans cette situation, les principales victimes restent ces enfants qui ont été confrontés une fois de plus à la violence adulte. On peut compter sur la bienveillance, l’empathie et la congruence des professionnels qui les entourent pour accompagner au mieux le nouveau traumatisme qu’ils viennent de subir.
Jacques Trémintin