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■ ACTU SOUTIEN- On marche dans la merde, tout en suivant les étoiles !
Par Lili Dupuis, étudiante en 2e année DEES à l’IRTS de Marseille
Je suis arrivée en formation d’éduc, pleine d’entrain. J’étais remplie de lectures sur Deligny, ainsi que du travail lent et tranquille d’un lieu de vie vers Châteauroux. J’avais un imaginaire de l’éducateur des campagnes.
Au lieu de vie, on avait le temps ! Le temps de laisser les enfants se mouvoir et de les observer. Même si cette démarche avait parfois quelque chose de voyeuriste dans le fait d’observer et d’analyser constamment les gamins mais ça, ça nous permettait de penser !
En l’absence de précipitation et de découpage de ce fameux temps, nous avions un espace mental qui permettait de rêver. Ainsi, nous pouvions avoir des intuitions, des hypothèses d’action (comme je dis maintenant que je suis en formation) à nous, l’équipe d’éducs non éducs.
Cette idée de « temps », j’ai l’impression qu’elle a traversé la pratique de Deligny. Le temps qu’il a pris notamment pour retracer le parcours géographique des jeunes, les lignes d’erre. Cette dimension de l’espace et du temps, me semble être au cœur de la psychothérapie institutionnelle et donc du discours de Tosquelles.
"On avait le temps de laisser les enfants se mouvoir et de les observer." ©PxHere
Deligny et Tosquelles m’ont fait rêver dans le lien constant qu’ils ont entretenu avec la société. Pour Deligny, l’organisation sociale, notamment celle du réseau des auberges de jeunesse, où tout le monde devient ressource pour le jeune. Dès lors, l’éduc peut être le ferrailleur d’à côté. Et pour Tosquelles, l’ouverture du lieu.
Deligny et Tosquelles m’ont fait rêver
Dans l’Ime où je fais mon apprentissage, je me suis rendue compte que sans ce temps, cet espace mental libre, il m’était très difficile de travailler et de proposer des choses aux jeunes ! Sans ce temps, j’ai l’impression de devenir prestataire d’activités, une magicienne qui a toujours de nouvelles idées, de nouveaux projets à sortir de son chapeau, une triste animatrice.
Mais contrairement au lieu de vie, l’Ime m’apporte la conscience de l’importance d’être formée. Éducateur est un métier sérieux. On peut y rigoler, mais c’est un métier à prendre au sérieux ! Au lieu de vie, surtout en séjours adaptés, on se comportait en super-héros, peur de rien et capables de tout supporter.
Au fil de mon parcours avec cette asso, j’ai pris conscience de l’effet limite, voire dangereux, de cette tendance. Quand on joue au super-héros, en enchaînant quinze jours sans jamais se reposer, on peut devenir violent ou du moins maltraitant. Il ne suffit pas d’être une jeune anim’ férue de nature, motivée, « dynamique » et idéaliste pour pouvoir travailler.Il faut apprendre à se connaître soi, ses limites, prendre de la distance pour réfléchir et surtout échanger avec son équipe. Construire avec son équipe.
Un métier à prendre au sérieux
Avec ma maître d’apprentissage, on s’est rencontré humainement, sans essayer de devenir copines, en préservant une forme de pudeur et de distance. Nous avons construit une relation de confiance et de respect entre maître et apprentie. Avec cette formation, je me suis heurtée au cadre de l’Ime, à sa pauvreté imaginaire et à son organisation réglée comme du papier à musique. En revanche, cela m’a permis de mettre de l’eau dans mon vin et de découvrir des professionnelles accueillantes, réflexives et un vrai plaisir de travail en équipe. On m’a fait de la place, m’a encouragé et mise en valeur.
Les enfants sont adorables, mettent rarement l’équipe en difficulté, mais je commence à me sentir enfermée par la structure, surtout depuis qu’il n’y a plus l’alternance entre cours et apprentissage. Désabusée, j’ai commencé à me dire que j’étais en train de gâcher mon temps de formation. Puis une prof a organisé une rencontre avec une ancienne éduc de prévention spécialisée. Elle nous a parlé du livre « Nous, la cité », co-écrit par un éduc et des jeunes. Passionnant ! Elle nous a également raconter un chantier éducatif où les jeunes de quartier vont à la rencontre d’agriculteurs dans la campagne profonde. Le rêve ! J’ai un nouvel objectif : la prév !
Objectif prev
À la prochaine rentrée scolaire, je retourne à L’Ime. Le seul truc qui me motive, c’est le super binôme que je forme avec ma maître d’apprentissage et le projet théâtre qu’on monte à deux. Je me rends compte (encore) que ce n’est pas forcément les pros qui font une structure. Un établissement peut aller mal, même si les pros se démènent pour qu’il aille bien. La formation apprend aussi la persévérance : tempérer, rester, voir les nuances, analyser… Essayer de comprendre ce qui cloche.
C’est formateur et en même temps, peut être une grande perte de temps ? Je ne sais pas. La semaine prochaine, je vais partir en stage. Enfin ! Cette formation c’est un peu comme le réel : on marche dans la boue mais on peut avoir de supers couteaux suisses ! On marche dans la merde, tout en suivant les étoiles ! Il faut une dose de pragmatisme, une rêve et un de folie pour avancer ! Je souhaite devenir une éduc des campagnes !
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