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► C’est quoi le problème ? Par Mélodie • Folle ou pas, ce n’est pas la question.

Une journée comme une autre, mais à la gare routière. « – Bonjour, je voudrais un aller-retour pour Voiron, s’il-vous-plaît. – Pour aujourd’hui ? – Oui. – Voilà. – Merci. – Le bus passe dans la rue d’en face ? – Quel bus ? Je vous ai fait un AR en train. – Mais... ça ne m’arrange pas du tout ! Bon, c’est pas grave. – Je suis désolé, mais vous verrez, c’est bien de voyager en train et c’est plus rapide ! ». Je m’installe dans un compartiment à six banquettes, seule. D’un coup, je vois surgir une femme maigrelette qui hurle arrête de crier je te dis. Je jette un œil discrètement dans sa direction et non, elle n’a pas de téléphone, pas d’oreillette non plus. Elle s’assied à une rangée de moi, à la diagonale, et je devine son regard sombre. Elle continue de crier mais je ne comprends pas un traitre mot de sa logorrhée. Je m’applique à éviter son regard – il me semble judicieux de ne pas être intrusive – et plonge le mien dans le paysage qui défile. Elle se lève, traverse le wagon en passant par le premier étage, revient par le bas, s’assied de nouveau à la même place, me scrute, repart, revient et s’installe derrière moi. Côté tranquillité, c’est loupé, mais au moins je n’ai plus à consciencieusement éviter que nos regards se croisent. Je l’entends s’engueuler avec son interlocuteur fictif et je me demande de quelle institution ou hôpital elle s’est « évadée » ? Je n’ai pas fini de m’interroger quand elle m’assène un coup violent sur l’épaule. Je laisse échapper un cri de douleur et de surprise ! – Même de dos, je la perturbe ! – Choquée, je me lève et change de place sans me retourner. Bonjour mon manque de jugeote ! Alors qu’elle a besoin d’être vue, entendue et aidée, je m’installe auprès d’un groupe, me disant que si elle déraille complétement, au moins j’aurai un soutien. Je ne l’ai plus entendue ni revue. Le train arrive à destination et j’en sors. J’en prends un autre le soir, arrive en gare, ne vois pas mon préposé à la vente de billets et je rentre chez moi. Quand je relate mon anecdote, elle n’est pas accueillie comme telle ! « – T’as averti le contrôleur ? – Non. – Et si elle avait eu un couteau ? – Ça ne m’est pas venu à l’idée qu’elle puisse être dangereuse. – Tu te souviens de l’homme sorti de l’hôpital psychiatrique de St Égrève qui a poignardé un passant en pleine rue ? Il était au mauvais endroit au mauvais moment et il en est mort. » Je mesure alors mon inconséquence. J’ai pensé à ma pomme – il ne m’est rien arrivé de dramatique –, et pas aux risques que d’autres encouraient ! Mais oui, j’aurais dû alerter un contrôleur. La folie, on ne sait jamais trop comment ça peut mal tourner, c’est vrai, mais moi, j’ai en tête des hommes et des femmes de génie qui ont révolutionné le monde des idées en mettant leur conflit psychique au service de l’art et de l’humanité. Aloïse, schizophrène, s’immerge dans d’immenses fresques, Artaud, dépressif, jugule ses crises d’angoisse, Van Gogh, bipolaire, se noie dans sa nuit étoilée, Munch, agoraphobe, hurle son mal-être dans ses toiles, Nietzsche, paranoïaque voire cyclothymique, écrit Le gai savoir, De Vinci, troublé par son inattention, représente La Joconde sur l’esquisse d’une femme irréelle ; quant à Kafka, maniacodépressif, il métamorphose admirablement sa psychose.... Alors, peut-être que j’ai croisé une artiste qui s’ignore en manque du moyen d’expression qui la hisserait au rang de sommité !


À lire aussi : Travail social et psychiatrie - LS n°1133 - Dossier p.26