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► FORUM - Le Billet de La Plume Noire : Freaks

Comme tous les autres étudiants, François Durand, éducateur spécialisé de son état, avait trois stages à faire au cours de ses trois années de formation. Les étudiants devaient, si possible, varier les secteurs. Ayant profondément peur du « Handicap » François décida d’y effectuer son premier stage afin de s’en débarrasser.
Il s’est ainsi retrouvé au sein d’un groupe d’enfants « déficients légers », trisomie 21 et autres déclinaisons. Cet institut accueillait des enfants avec handicap beaucoup plus lourds et il était soulagé d’être affecté sur un groupe qui ne l’éloignait pas trop de sa conception de l’humanité. Comme il allait se retrouver face à des monstres, autant qu’ils soient le moins monstrueux possibles.
Cet institut se trouvait sur les hauteurs de la ville, perdu dans la campagne, éloigné du centre. Trois grands bâtiment, plusieurs pavillons, chacun accueillant son niveau de handicap. Ces enfants bénéficiaient (c’est comme ça que l’on dit dans le métier), pour ceux qui le pouvaient, de temps de classes, d’activités diverses et variées ainsi que de beaucoup d’ennuis.
Pour se rendre sur le pavillon sur lequel il avait été été affecté il pouvait passer soit par l’extérieur soit par un des bâtiments. Ce deuxième choix c’était la cours des miracles, la monstueuse parade, les odeurs : produits d’entretiens, d’hygiène, d’urine, de merde, le tout réuni en une seule effluve qui le prenait directement à la gorge sans passer par le nez. Deux semaines lui furent nécessaires pour oser affronter ce passage. Il passait vite, jetait des regards furtifs sur ses enfants nommés polyhandicapés. Ni l’esprit ni le corps ne répondait comme on est en droit de l’attendre de n’importe qui. Les corps semblaient pour certains comme disloqués, les visages parfois figés dans des rictus diaboliques ou dans une apathie débordante. Pour ses enfants, impossible de se déplacer seul, de manger seul, de se laver seul, de pisser seul, de chier seul, de… la sexualité, il n’en était vraiment pas question.
Difficile de savoir ce qu’ils pensaient, ce qu’ils disaient. Et puis il y avait les toilettes. Le personnel devait se dépêcher et n’avait pas vraiment le temps de chercher à comprendre ce qu’ils pouvaient tenter de dire si tant est qu’ils aient eu quelquechose à dire. François apercevait de drôles d’engins, coques avec poulies pour soulever ces corps comme morts pour les déposer dans les baignoires. Dans cet Institut Médico Educatif, tout était médicalisé. La séance de kiné, la séance de psychomotricité, la séance d’orthophonie et quand il restait un peu de temps, la piscine. Il convenait de respecter les plannings imposés par le corps médical. Entre deux rendez-vous, l’enfant attendait dans son fauteuil. François, une fois, avait vu l’un d’eux tourné face à un mur avec dans son dos le jardin. Son Zéduc l’avait posé là. Il avait oublié l’humain. Dans le fauteuil, il ne voyait plus en lui qu’un objet. C’est humain après tout, ou, monstrueux tant la frontière entre les deux est des plus poreuse.
Un vrai film d’horreur ce couloir. Aussi, qu’elle ne fût pas son soulagement et sa surprise lorsqu’après l’avoir emprumté pour la première fois il arriva, la boule à l’estomac suite à une trop courte nuit, sur le pavillon au sein duquel il avait été affecté. Dès qu’il était entré dans la pièce une douzaine de gosses, avec de grands sourires, s’étaient précipités sur lui. Certains lui prenaient les mains, l’embrassaient. Ils savaient qu’il venait. Ils avaient compris qu’un nouveau devait arriver. Un stagiaire.
Très peu de ses enfants parlaient, mais très vite ils arriveraient à se comprendre. Première claque d’une longue série. François ne savait pas encore qu’il partait à la rencontre d’un autre Freak : lui-même.