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► FORUM - Le Billet de La Plume Noire : Slam

Laura Jolie, étudiante éducatrice spécialisée, n’en peut plus. En ce jour de regroupement au sein du centre de formation, en séance d’APP (1), elle tient à le faire savoir. Il faut que cela sorte. Le social, elle ne l’imaginait pas comme ça. François Durand, éducateur spécialisé de son état, et aujourd’hui, pour l’occasion, formateur et animateur du groupe, ouvre tout grand ses oreilles. Il connaît bien l’ITEP (2) « Les Constellations », lieu de stage pour Laura. Madame Rodriguez, Pédopsychiatre y officie toujours et aux dires de la jeune étudiante, la spécialiste demeure cette adepte du slogan « Des cachtons à fond la norme » et à ce titre prescrit, prescrit et prescrit. Depuis qu’elle a commencé son stage, Laura n’en revient pas. Elle a parfois l’impression que les éducateurs se retrouvent à remplir la fonction de simple pilulier couplée à celle de porte-clés tant il y a de traitements à superviser et de portes à ouvrir et fermer… principalement à fermer, insiste-t-elle tout en retenant un rire nerveux, mais salutaire.
Et puis ce sacrosaint projet avec lequel on lui bassine les tympans n’est pas fait pour la calmer. Plein le cul qu’on lui demande ce qu’elle va trouver sur un lieu de stage avant même d’y avoir engagée la pointe de son nez. Deux ans que cela dure ses inepties de projets, d’objectifs, de buts, de moyens, de stratégies. « Mais bordel je n’ai pas choisi ce métier pour employer le langage militaire !!! La rencontre ça ne suffit pas comme projet !!!??? ». Elle est vraiment à bout.
Mais bon, elle veut son diplôme et le projet, comme tout le monde, en cette troisième année de formation, elle l’a élaboré, conceptualisé, réalisé et plutôt bien même. Un atelier « Slam ».
Les jeunes en écoutent beaucoup, alors autant utiliser ce média comme support à l’expression. Elle a lancé l’idée auprès de son référent Vince Letatoué - bonnet à la cool sur la tête, bras tout en muscle, poitrail de buffle, car il faut bien ça pour tenir tête aux gamins afin qu’il ne la ramène pas trop - qui lui a demandé d’en parler à toute l’équipe en réunion. La communication, c’est important et puis le chef de service doit valider la démarche, savoir si c’est éducatif. Laura a présenté son projet. Accordé, mais à conditions que cela se fasse sous le regard de son référent Letatoué. La petite stagiaire ne doit surtout pas se laisser déborder.
Un franc succès cette proposition. Cinq gamins se sont jetés sur l’idée y compris, à la surprise générale, cet agité de Maël, que madame Rodriguez regarde toujours avec une boîte de pilules à la main. Mael est entré dans l’écriture de tout son être. Les mots fusaient comme habités de leur propre volonté et semblaient sortir seuls du stylo. Dès la première séance, trois « Slams ».
Vince, en bon contrôleur, s’est immiscé. A la vue des horreurs écrites, il pâlit puis s’est rué dans le bureau de la pédopsychiatre. Madame Rodriguez a reçu le jeune déviant. A la sortie de la séance, Maël a déchiré ces textes sans oublier au passage d’exploser la porte du bureau. Pour lui, plus question de refoutre les pieds dans ce putain d’atelier « Slam ».
Vince Letatoué a accroché son porte-clés dans le passant à ceinture de son pantalon, madame Rodriguez a sorti son ordonnancier et face aux autres étudiants, sous le regard de François Durand, Jolie Laura, pleure.


(1) Analyse de la Pratique Professionnelle (2) Institut Thérapeutique Éducatif et Pédagogique