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► FORUM - Pensées du travail social

Par Angélique Revest, cheffe de service en CHRS


Dans le travail social, nous nous trouvons au carrefour de la souffrance humaine et des inégalités sociales, confrontés à des réalités parfois insoutenables. Comme l’a souligné Albert Camus dans "L’homme révolté", la révolte est une réponse naturelle face à l’injustice et à l’absurde de la condition humaine.

Le travail social doit être imprégné de cette révolte constructive, celle qui refuse la résignation face à la misère et qui aspire à la transformation sociale. À l’instar de Camus, nous devons être des hommes et des femmes révoltés, mais cette révolte doit se traduire par des actions concrètes et non violentes.

De la justice et de la dignité humaine

Camus nous rappelle que la révolte doit être guidée par la recherche de la justice et de la dignité humaine. Dans le contexte du travail social, cela signifie lutter contre les discriminations, défendre les droits des plus vulnérables et œuvrer pour des politiques sociales justes.

Les publications de Philippe Gaberan (parce qu’il est grand temps de redonner du sens à l’éducation spécialisée), m’inspire. Je les interprète comme un appel à un travail social engagé, animé par la conviction que la révolte peut être un moteur puissant pour le changement social.
En cultivant cette révolte constructive, nous pouvons contribuer à forger un monde plus équitable, où chaque individu a la possibilité de vivre avec dignité et justice.

Une utopie ?

Le travail social est bien plus qu’une simple profession ; c’est un engagement, une mission qui implique de comprendre profondément les souffrances humaines et de lutter contre les inégalités sociales.

Dominique Depenne, nous rappelle que chaque individu a une histoire, des besoins uniques et une dignité qui mérite d’être respectée. Il souligne que l’éthique dans le travail social ne se résume pas à une série de règles ou à des pratiques standardisées, mais qu’elle découle de la profonde reconnaissance de l’individualité de chaque personne que nous accompagnons.

C’est à travers une véritable rencontre, un lien authentique avec ceux que nous accompagnons, que nous pouvons réellement faire la différence. Dominique Depenne, encore, s’inspirant de la philosophie d’Emmanuel Lévinas, nous invite à considérer l’autre comme une altérité, une singularité qui mérite notre respect et notre attention.

Il ne s’agit pas de chalandisation, de traiter les personnes comme des numéros ou des clients, mais de reconnaître leur humanité, leur vulnérabilité et leur dignité intrinsèque.

Laisser le temps à la rencontre

Dans l’esprit d’Emmanuel Lévinas, chaque personne est un visage, une présence inestimable, et notre devoir éthique est de répondre à cette présence de manière respectueuse et responsable. Laisser le temps à la rencontre, à la personne de se projeter et de mettre au travail ses problématiques ne peut se réaliser qu’au travers un accompagnement social long.

Cheffe de service en CHRS, je ne peux que constater le conflit éthique entre le temps de l’accompagnement et la contrainte étatique. Notamment dans le cadre de l’aide sociale à l’hébergement qui est d’une durée de 6 mois.

Michel Chauvière nous alerte sur le danger de la chalandisation, de la mise en concurrence des ESMS qui consiste à réduire les individus à des publics cibles ou des clients plutôt qu’à des personnes en quête de soutien et de compréhension. Nous devons résister, lutter dans un contexte où le travail social est en pleine mutation.

Maintenir notre engagement envers une pratique du travail social éthique, basée sur la révolte constructive contre l’injustice et la recherche de la justice et de la dignité pour toutes et tous.

Pratique du travail social éthique

En cultivant cette approche humaine, il me semble que nous pouvons contribuer à construire un monde plus juste, où chaque individu, quelle que soit sa situation, a la possibilité de vivre avec dignité. C’est un idéal qui peut sembler utopique, mais n’est-il pas de notre devoir en tant que travailleurs sociaux de nous efforcer de le réaliser, en nous inspirant des leçons profondes de l’éthique et de la rencontre ?

Le travail social est véritablement un "sport de combat," comme l’a souligné Pierre Bourdieu. Les travailleurs sociaux sont en première ligne dans une lutte qui s’articule autour de multiples enjeux, notamment la pression grandissante liée à la rentabilité et la chalandisation.

Pierre Bourdieu, avec ses théories a mis en lumière comment les inégalités sociales et les batailles pour le pouvoir influencent notre vie quotidienne. Les travailleurs sociaux se trouvent au cœur de cette bataille pour la justice sociale, confrontés à des systèmes parfois complices des inégalités qu’ils cherchent à combattre.


Nous devons résister, lutter dans un contexte où le travail social est en pleine mutation.


La chalandisation, comme évoquée précédemment, représente une menace pour le travail social. Elle réduit les personnes à des "consommateurs," ignorant leurs besoins uniques. Cette approche transforme le travail social.

Dans cet environnement, les travailleurs sociaux se battent non seulement pour les droits et la dignité des personnes accompagnées, mais aussi pour préserver leur propre éthique professionnelle. Nous devons résister à la pression grandissante pour maintenir l’intégrité du travail social en tant qu’acteur authentique de solidarité humaine.

Il faut également signaler que le travail social est soumis à une pressurisation continue. Cette réalité peut être accompagnée d’une organisation défaillante. Oui nous pouvons reconnaître que les salariés des ESMS expriment de plus en plus leur mal-être au travail. Je n’avais pas connaissance de ce chiffre alarmant 20 % des accidents du travail liés à des affections psychiques concerne les salariés des ESMS.

Face à ces constats, il est impératif d’agir, mais comment se mobiliser ?

Dans un premier temps prendre la plume car les travailleurs sociaux écrivent peu. Rendre visible nos réalités, mais permettre aussi aux personnes accompagnées de s’exprimer.

Nous devons collectivement remettre en question les modèles de gestion qui ont conduit à cette situation. Cela nécessite un changement de culture au sein des établissements, la reconnaissance de la souffrance professionnelle et un soutien accru aux travailleurs sociaux et aux professionnels de la santé.

Il est temps d’agir de manière proactive pour garantir la santé et le bien-être des travailleurs sociaux et pour faire en sorte que leur mission essentielle de soutien aux personnes puisse s’accomplir de manière durable et éthique.


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