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► LE BILLET de La Plume Noire • Solutionneur Positif
Frédéric Tandem, éducateur spécialisé, le martèle sans cesse. À chaque présentation d’une situation en réunion, il le répète à l’envi « On va positiver ! » Frédéric cherche sans cesse des solutions pour les usagers. Il se démène pour eux, travaille d’arrache-pied, adopte des stratégies pour trouver les meilleures orientations possibles. Alors, quand il en trouve une, il positive, il veut y croire. Cette fois-ci « la jeune » va investir son projet. D’ailleurs à ce propos, quand Frédéric évoque « son projet », il est très difficile de savoir s’il s’agit du sien ou de celui de la jeune. Mais bon, peu importe. Frédéric positive. La jeune va y arriver. C’est quand-même la troisième orientation qu’il lui propose. La jeune l’a déjà planté - oui vous avez bien entendu « elle l’a planté » - à deux reprises mais pas grave, cette fois-ci il espère, ça va marcher.
François Durand, éducateur spécialisé de son état, écoute attentivement, quoiqu’attentivement ne soit pas vraiment le mot dans la mesure où Frédéric enchaîne sans le savoir, lui l’insoumis anti capitaliste, les poncifs néo libéraux avec sa revalorisation des compétences et sa putain de positivité. François Durand ne dit rien, autrement il va encore passer pour le chieur de service. Celui qui pinaille sur la sémantique. Les mots sont chargés d’idéologie mais rien n’y fait. On lui a signifié plusieurs fois, « Tu fatigues à interroger le moindre mot. »
Alors, il se tait. De toute façon, Frédéric Tandem dans la certitude de sa positivité n’entendrait pas les arguments de François. Et puis la cheffe de service veille au grain. C’est à elle de faire les retours, d’analyser. Normal, c’est la cheffe, elle en sait plus que les autres. François l’a appris le jour où il asticotait une collègue avec un peu plus d’insistance que d’habitude et que sa cheffe lui a subrepticement glissé à l’oreille « Chacun sa place. » En d’autres termes, « Tais-toi. » Un éducateur qui en sait plus qu’elle sur les processus à l’œuvre en termes de relation éducative c’est dangereux pour sa légitimité. En confisquant la parole, au lieu de la faire circuler, elle a ainsi repris le contrôle de la réunion. Alors pourquoi poser des questions lorsque personne ne veut les entendre ? C’est perdu d’avance.
Par ailleurs, Frédéric Tandem est présent sur les réseaux sociaux. Il a créé une page Facebook, « Blabla d’Éduc », pour les éducateurs qui comme lui qui souhaitent échanger sur la profession. Mais attention, la bienveillance, cet arbre qui cache la forêt de la maltraitance, est de rigueur et seuls les commentaires positifs sont acceptés.
Cet engouement pour la positivité inquiète sourdement François. Vouloir que l’autre réussisse c’est ne pas l’autoriser à échouer. C’est finalement le sommer de réussir. C’est ne pas entendre ce que cet échec raconte. C’est ne pas permettre à l’autre d’en dire quelque chose. La jeune l’a plantée à deux reprises, exprime quelque chose, et Frédéric Tandem persiste tout de même avec une troisième orientation. Dès lors, devenu « orientateur spécialisé », un solutionneur positif, il reste aveugle à ce que véhicule de totalitaire la recherche de solution(s) pour l’humain.
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