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► LE BILLET de La Plume Noire • Tout est foutu d’avance mais…
« Alors ta première séance auprès des étudiants éducateurs spécialisés hier ? Pas trop difficile la posture de formateur ? »
Comme bien souvent Jérôme Cabriole et François Durand, tous deux éducateurs spécialisés de leur état, discutaillent le bout de gras en attendant l’arrivée des marmots.
Écoute, pour une première, pas trop mal. Les étudiants viennent à peine d’effectuer leur rentrée. Ils étaient dix dans mon groupe. Il s’agissait surtout de créer un climat propice à la discussion, de présenter le métier, de repérer les aspirations de chacun. Je vais les voir une fois par mois sur toute l’année alors hier je me suis autorisé à prendre le temps de les rencontrer.
Tu as commencé par quoi ?
Traditionnel tour de table et ensuite je leur ai demandé « pourquoi êtes-vous ici ? »
Ils ont répondu quoi ?
J’ai eu droit à l’inévitable « parce que j’ai envie d’aider les autres » et puis il y en a une, Joly Laura elle s’appelle, qui a répondu « parce que j’ai envie d’être au cœur du problème. »
Et c’est quoi le cœur du problème pour Joly Laura ?
Elle n’a pas vraiment su développer, mais j‘ai bien senti dans sa réponse la volonté de politiser son propos. La suite me l’a un peu confirmé. Elle avait une façon de penser au-delà du pauvre, du faible, de l’exclu que le bon samaritain éducateur va sortir de la merde, vision angélique et point aveugle de la profession.
Et pour toi c’est quoi le cœur du problème ?
Le cœur du problème, ben, c’est que la première fonction du travail social est de reproduire les inégalités sociales. Bien évidemment, dans une relation individuelle et éducative, il est possible qu’un éducateur permette par sa posture d’amorcer le changement chez l’autre. Mais, structurellement, même si certains aiment à se rappeler leurs petites victoires, le travail social n’œuvre pas à l’émancipation des citoyens. Son but non avoué, et que lui-même peine à s’avouer, est que chacun reste à sa place. Un peu comme à l’école. Depuis Bourdieu, nous savons que la structure-école est là pour que le système ne bouge pas et du coup les enseignants s’épuisent à vouloir gommer les inégalités au cœur même de ce système qui ne cesse de les reproduire. Et pour les éducs c’est un peu la même chose et du coup on entraîne les « déclassés » dans notre folie et nos fausses promesses, car on ne gagne pas contre le système sauf à le renverser.
Et c’est là que rentre dans la danse les matraques de la structure police.
C’est ça.
Pétard, on n’est pas sorti de l’auberge. Et tu leur as dit tout ça aux étudiants ?
Non, je ne suis pas allé jusque-là. Je me suis contenté de leur glisser que « tout est foutu d’avance, mais qu’il faut le faire quand même. »
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