N° 1223 | Le 20 février 2018 | par Julien Duperray, directeur d’association | Espace du lecteur (accès libre)
Travailleurs sociaux du pire horizon,
Osons ensemble partager cette confession,
À vous les premières lignes de la lutte
contre les exclusions,
Je livre humblement mon obsession ma question,
Votre noble action est des plus valeureuses,
Côtoyer les situations les plus malheureuses,
Affronter mille fois la décision la plus affreuse,
Répondre à la pire question la plus tortueuse,
Comment choisir ?
Comment choisir entre le moins, le plus, le trop,
le pas assez, l’avec, le sans ou bien le plus ancien ?
Comment choisir ?
Comment choisir lequel je vais abandonner
laisser sans rien ?
Et pourtant vous faites front, quand bien même
ce soit dans la souffrance,
Vous tenez vos positions face aux pressions
de cette sous-France,
Et pourtant vous êtes lucides sur les contresens,
Vous luttez contre le suicide de la perte de sens,
Comment choisir dans la pauvreté
des instances d’attribution,
Comment choisir dans l’absurdité
des commissions de régulation,
Devoir siéger pour assister à tant d’aberrations,
D’accorder une solution contre mille exécutions,
Comment graduer des vulnérabilités,
Alors que sur la table tant de détresses sont étalées,
Faut-il encore faire semblant de délibérer,
Alors que c’est l’État tout entier qui a décartonné,
Comment choisir ?
Comment choisir entre le moins, le plus, le trop,
le pas assez, l’avec, le sans ou bien le plus ancien ?
Comment choisir ?
Comment choisir lequel je vais abandonner
laisser sans rien ?
Maison de la Veille Sociale la mal nommée,
Réalise à quel point ton nom est inapproprié,
Ces trois mots paraissent tellement déplacés,
Quand on connaît ta si funeste renommée,
Est-on maison, quand ceux qui nous traversent
le sont par un froid glacial,
Est-ce que l’on veille, lorsque l’on glisse
vers des postures des plus partiales,
Est-on sociale, quand notre marionnettiste
est Direction de la Cohésion Sociale,
Est-on Maison de la Veille Sociale,
lorsqu’on condamne à des situations fatales,
Cette femme seule voudrait pouvoir être en sécurité,
Cet homme brisé ne voudrait plus être un isolé,
Ce couple voudrait ne pas avoir à être séparé,
Cette famille voudrait que ses enfants
puissent s’intégrer,
Faites vos jeux, une seule place sur le tapis,
autant la jouer à la roulette russe directement,
Faut-il défendre à tout prix cet enfant mourant, quitte à laisser mourir ce vieil homme impotent,
Tu es saturation de participer à ce jeu de dément,
Tant ce questionnement écrase en toi le militant,
Comment choisir laquelle est la pire des précarités ?
Comment subir le choix à faire
de ne pas toutes les considérer ?
Comment s’autoriser à les critériser ?
Comment choisir laquelle va le plus mériter ?
Comment choisir ?
Comment choisir entre le moins, le plus, le trop,
le pas assez, l’avec, le sans ou bien le plus ancien ?
Comment choisir ?
Comment choisir lequel je vais abandonner
laisser sans rien ?
Le décalage est grand avec ta première ambition,
Celle d’accompagner les carences
en inventant des solutions,
Ton choix d’engagé était de rejoindre une association,
Sans te douter qu’elle produirait elle-même
sa part d’exclusion,
Ton institution parlons-en justement,
Est-elle vraiment à la hauteur de ton engagement ?
Est-elle crédible quand son projet associatif ment ?
Est-elle légitime quand elle musèle ses militants ?
Quelques grosses enseignes se livrent
à une guerre concurrentielle,
Et se rabaissent au silence pour soigner
leurs contrats pluri-annuels,
Elles rejettent leurs meilleurs éléments
au nom qu’ils sont des rebelles,
et signent à la chaîne des ruptures conventionnelles,
Toi qui fait face droit dans les yeux à la misère,
Tu n’es même plus soutenu par ton institution,
ta maison mère,
Celle qui devrait t’apporter la hauteur nécessaire pour y voir clair,
Celle qui devrait t’assurer à quel point
tes émotions pour elle sont chères,
Comment choisir de continuer dans cette voie ?
Ou comment choisir de tout plaquer
pour Pôle emploi ?
Comment accepter faire taire la puissance
de ta voix ?
Et comment tolérer les conséquences des silences de ta voix ?
Comment choisir ?
Comment choisir entre le moins, le plus, le trop,
le pas assez, l’avec, le sans ou bien le plus ancien ?
Comment choisir ?
Comment choisir lequel je vais abandonner
laisser sans rien ?
Ne baisse pas les bras, accroche toi et dure,
Mais soit conscient que la réponse ne viendra pas d’une procédure,
Pour changer le système il faudra casser des murs,
Ceux qui ont été bâtis pour que la précarité perdure,
Comment choisir ?
Tu l’as compris la question est insoluble,
Dans la mesure où toutes les réponses
sont forcément ridicules,
Ne pas choisir !
C’est ce qu’il faudrait pour qu’elle tourne
à nouveau rond, la pendule,
Tout déconstruire, et reconstruire à nouveau …
... pour qu’enfin cesse que la misère pullule.