N° 1224 | Le 6 mars 2018 | Par Gérard Zribi, ancien président d’Andicat, docteur en psychologie | Espace du lecteur (accès libre)
La politique publique du handicap se fonde aujourd’hui sur trois concepts : la désinstitutionnalisation, l’accompagnement et l’inclusion. Ceux, qui, comme moi, s’en étaient fait depuis longtemps une ligne de conduite philosophique et pratique devraient s’en réjouir ; et pourtant le parfum d’imposture est patent ; le maître-mot est la transformation de l’offre médico-sociale ; mais faudrait-il encore disposer d’une analyse juste des dispositifs existants, d’une approche qualitative des besoins et des réponses et élaborer des orientations qui intègrent l’ensemble des problématiques des handicaps (les autistes ont-ils les mêmes besoins et attentes que les handicapés psychiques vieillissants et âgés ou ceux d’un intellectuel paraplégique ?). Revenons aux concepts-clés qui nourrissent le discours des décideurs publics et de leurs contempteurs.
Le concept de désinstitutionnalisation est apparu dans les années post-soixante-huitardes, il conduisait notamment dans la santé mentale et le secteur médico-social et social à organiser la rupture avec les établissements asilaires et ségrégatifs (les hôpitaux psychiatriques, les grands internats fermés…) privatifs de droits et de subjectivité. A l’opposé de la désinstitution (la fermeture de toute structure spécialisée), la désinstitutionnalisation prônait le développement de structures de taille limitée, vivantes, diversifiées, en lien avec l’extérieur, assurant le droit aux usagers d’avoir des possibilités d’expression, d’information, de co-construction et de choix de vie. Depuis les années quatre-vingt, le mouvement vers la désinstitutionnalisation a été dynamique ; les réponses se sont diversifiées avec un rééquilibrage très sensible entre les établissements et les services ; l’offre se développe plus rapidement dans les services (+15,2 %) que dans les établissements (+0,4 %) pour les enfants entre 2010 et 2014 ; pour les adultes, +10,2 % dans les services contre 5,4 % dans les établissements ; des places d’accueil temporaire et séquentiel ont été créées. L’ancrage et l’ouverture des structures dans les territoires se sont nettement accentués ; les droits des usagers sont mis en œuvre depuis plus de 30 ans (surtout dans les structures de type ESAT ou foyer d’hébergement) avant d’être reconnus par la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale. Rien n’est donc plus faux que d’affirmer que le dispositif médico-social est fermé, statique et autoritaire.
Piveteau et Serafin
Cette notion est complémentaire de celle de désinstitutionnalisation ; elle a accompagné le démembrement et l’ouverture des structures spécialisées sur leur environnement. La logique de l’accompagnement suppose une pluralité des réponses, à la fois complémentaires, progressives, réversibles, partenariales et territorialisées afin de respecter les besoins, les capacités et les choix de vie. Les pratiques actuelles de désinstitutionnalisation et d’accompagnement ouvrent, nous l’avons vu, un champ toujours davantage décloisonné et ouvert entre les structures spécialisées et les espaces d’éducation, de scolarisation, d’emploi et d’habitat dit « ordinaires », au sein desquels les usagers ont davantage de droits et de possibilités, même si les pratiques et le dispositif existant sont sensiblement perfectibles. Or, la remise en question par les pouvoirs publics du secteur médico-social s’appuie sur une approche pervertie des notions de désinstitutionalisation et d’accompagnement. La politique publique s’appuie principalement sur le rapport Piveteau (Zéro sans solution), sur un système de financement en préparation (Serafin) et sur les « réponses accompagnées pour tous » (l’habitat accompagné, le travail accompagné…), avec comme postulat qu’il faut « libérer les personnes handicapées de l’emprise des institutions ». Notons au passage que le délire de Madame Aguilar (qui appartient à une instance consultative de l’ONU), selon laquelle 300 000 enfants et adultes handicapés français étaient « enfermés » dans des institutions, n’a provoqué aucune mise au point de la secrétaire d’État aux personnes handicapées. En fait, à l’inverse des pratiques modernes issues d’un long travail en France et dans les pays européens comparables depuis trois décennies, la politique publique actuelle du handicap, alors qu’elle promeut officiellement l’inclusion, conduit mécaniquement, avec l’affaiblissement recherché des structures spécialisées, à l’isolement et au repli sur soi, notamment pour les personnes handicapées mentales, handicapées psychiques, polyhandicapées et autistes.
Mauvais objet institutionnel ?
Le rapport Piveteau estime qu’il ne faudrait plus créer des « places » mais des « solutions » ; les « places » seraient réservées aux cas les plus graves et encore faudrait-il multiplier pour eux-aussi les accueils temporaires et séquentiels, même s’ils ne correspondent pas à leurs demandes et à leurs besoins. Les « solutions » seraient construites au niveau d’un territoire à partir d’un « plan d’accompagnement global » qui donnera à un usager un droit à un certain nombre de prestations. Ainsi, à titre d’exemple, un jeune adulte n’ayant pas trouvé de place dans un foyer de jour, « bénéficiera » de prestations (éducatives, paramédicales), tout en étant maintenu durablement à domicile, même si cela n’est pas son choix. C’est ce qu’on appelle une « réponse accompagnée ». Le « mauvais objet » institutionnel, pourtant créateur de lien social et relationnel, de structuration dans le temps et dans l’espace ou encore de normalité (au sens du principe scandinave de normalisation) serait ainsi écarté au profit d’une pseudo-inclusion qui se résume, en fait, à un retour en famille.
Et pour accompagner la mise en œuvre du rapport Piveteau, un nouveau système de financement, dit Serafin, est en cours d’élaboration. Serafin prévoit de financer, à partir de référentiels très réducteurs de besoins et de prestations, les différents actes dispensés aux « bénéficiaires ». À l’hôpital, cette technique budgétaire se dénomme la T2 A, dont les impacts négatifs font consensus. Et pourtant, rien ne semble freiner la frénésie de sanitarisation du secteur médico-social. Nous nous trouvons aujourd’hui devant un débat de fond entre deux options : la première est de s’adosser au dispositif existant (établissements et services, droits des usagers, individualisation de l’accompagnement, ouverture sur l’environnement, choix de vie…) pour faire face aux évolutions populationnelles, sociales et culturelles ; la seconde est de favoriser la vie au domicile (des parents ? des frères et sœurs ? lorsque les handicaps psychiques sont vifs et récurrents, lorsque le vieillissement et la dépendance auront raison des solutions familiales… ?) S’agira-t-il de substituer à la solidarité collective, la compassion, la solidarité interpersonnelle et intra-familiale et la plupart du temps, aléatoire ? C’est parce que le dispositif actuel de réponses est diversifié et stable (institutions, services, vie chez soi, placement familial, intégration « assistée » ou totale…) et correctement financé par la collectivité qu’il ouvre à chacun le bénéfice des droits à l’éducation, au travail, au logement, à la formation… Par contre, une approche fondamentaliste de l’inclusion (pas d’établissements sociaux et médico-sociaux) associée à l’éternel fantasme de diminution des budgets sociaux, ne permettrait pas l’accès aux droits fondamentaux mais plutôt à des aides à la dépendance (comme pour les personnes âgées). Les associations, les professionnels et plus largement la société civile devraient s’emparer de ce débat qui est tout sauf technique.