N° 1226 | Le 3 avril 2018 | Critiques de livres (accès libre)
Objectif homme
Notre société est prise dans un processus de mathématisation et de rationalisation de la nature humaine qui envahit le travail social. Le technicisme qui en est l’expression – et qu’il ne faut pas confondre avec la technique – impose un discours clos sur lui-même, élevé au rang d’une orthodoxie indépassable qui renvoie toute opposition à l’obsolescence et au passéisme.
Il cherche à placer sous son emprise tout ce qui pourrait lui échapper. Il métamorphose ainsi les qualités individuelles en quanta objectifs et évaluables. Il combat toute affectivité qui viendrait troubler le bon ordonnancement des choses qu’il impose. Le professionnel est sommé de se comporter en expert répondant aux exigences de productivité et de rendement, d’efficacité et de performance. Il ne doit plus faire de sa personne une donnée de son accompagnement, car tenir compte de l’humain est assimilé à une perte de temps, un déficit de rentabilité et une altération de la compétitivité. Les objectifs de son action sont enchaînés aux résultats obtenus, à l’application de consignes strictes et au respect des assignations fixées. Pour cela, il lui faut abolir l’altérité d’autrui, en l’homogénéisant d’abord en un individu désincarné, atemporel et sans histoire et en réduisant surtout sa problématique à un symptôme correspondant à une étiquette ou une classification prédéfinies.
Or l’être humain demeure un mystère marqué par l’indétermination et l’imprévisibilité. Prétendre maîtriser sa problématique, c’est le transformer en objet. Pour être éthique, toute rencontre avec autrui nécessite d’accepter l’énigme qu’il représente, de le considérer comme unique et singulier, de préserver son altérité absolue sur la base de laquelle s’organise une rencontre forcément dérangeante et incertaine.
Jacques Trémintin
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