N° 1231 | Le 12 juin 2018 | par François-Xavier Helbert, enseignant et président de l’association Report’Cité | Espace du lecteur (accès libre)
Faut-il un « big bang territorial » pour la politique de la Ville ? L’écueil des récents plans est d’avoir été trop ciblé sur les quartiers, d’avoir contribué à une stigmatisation territoriale. Or comme on l’a déjà expérimenté, la discrimination positive ne fonctionne pas.
Pour être pertinente une politique territorialisée doit répondre sans réserve à deux problématiques concomitantes : en quoi le milieu de vie non seulement reflète mais plus encore influence les modes de vie de ses habitants ? Comment l’intervention publique, en s’attachant à cibler des zones géographiques précises, contribue elle-même à une forme de stigmatisation ? Dans la vie quotidienne, l’individu se confond avec l’environnement qui l’entoure. Pour comprendre le volontarisme avec lequel Jean-Louis Borloo défend son plan « banlieue », il faut appréhender au préalable le rapport singulier que l’individu entretient avec le milieu dans lequel il évolue. Et pour paraphraser Emmanuel Kant, on ne peut comprendre l’homme si l’on ignore son milieu. Les actes de la vie quotidienne se conjuguent naturellement avec le milieu où l’on vit. C’est un fait. Le fait de vivre éloigné des pôles urbains conduit à prendre fréquemment sa voiture autant que le milieu naturel apporte confort et apaisement. Dans une certaine mesure, il est possible d’affirmer que leur lieu d’habitation conditionne les habitants, que ce soit sous la forme d’une contrainte ou d’une opportunité. À y regarder de plus près, les comportements sociaux (ou usages quotidiens) peuvent être observés à travers différents aspects. Du point de vue psychologique, l’habitat peut constituer une source de mal-être. Cette dimension s’illustre si l’on prend l’exemple du résident d’un logement à loyer social qui se voit attribuer un appartement dans une zone d’habitat très concentré où la promiscuité est la règle quotidienne. Pour quelqu’un qui aurait toujours vécu en secteur rural, connaissant de longue date la majorité des habitants, cette situation peut vite devenir insupportable. C’est ce qu’on appelle la ségrégation spatiale.
Inégalités territoriales
Du point de vue géographique, l’urbanisation peut constituer un risque d’isolement dès lors qu’une même population – rassemblée en fonction de son origine culturelle ou ses problématiques sociales – se trouve concentrée dans un même quartier. Cette localisation n’offre pas la possibilité d’une ouverture culturelle vers l’autre, vers l’ensemble d’une ville ou en direction d’autres « bassins de vie ». C’est ce qu’on appelle la ghettoïsation.
Du point de vue de l’accès aux services et par conséquent aux droits, l’éloignement géographique des services de proximité, qu’il s’agisse des commerces ou des services publics, constituent également un frein pour les habitants. C’est ce que l’on désigne par inégalité territoriale. L’ensemble de ces trois aspects a pour corollaire une problématique sociale qui se traduit par la ségrégation sociale, l’isolement social, les inégalités sociales. Et en ce qui concerne l’individu, ces trois dimensions peuvent conduire à une certaine forme d’exclusion. À partir du tableau dressé ci-dessus, il importe d’identifier ce qui ressort de la perception d’un côté et de la réalité sociale de l’autre. À vouloir trop cibler des zones géographiques en les considérant comme défavorisées, force est de constater que la politique de la ville peut devenir stigmatisante. Le territoire en tant qu’espace de vie n’est-il pourtant pas dans le même temps une opportunité formidable pour valoriser ses habitants selon le principe d’un effet miroir ?
Au siècle précédent déjà, l’architecte Alvar Aalto proposait, dans ses plans de construction du bâti : « J’ai l’impression que la vie comporte de nombreuses situations dans lesquelles l’organisation est trop brutale ; l’architecte a pour tâche de conférer à la vie une structure sensible. » Les pouvoirs publics doivent être capables de passer d’une logique d’intervention aujourd’hui ciblée sur les territoires à une nouvelle logique de prise en considération des publics en situation de fragilité quelle que soit leur localisation géographique. À ce titre, les deux questions de l’urbanisme et du développement social doivent se confondre dans un seul et même projet où l’aménagement du territoire répond aux problématiques sociales. Une manière d’accompagner les citoyens dans ce qu’ils font autant qu’en ce qu’ils sont. Trop de spécificité de l’action publique isole le territoire qui en est la cible. Pour qu’un tel plan puisse fonctionner, avant toute chose, il importe de décloisonner les territoires afin de faire tomber les représentations qui conditionnent la vie quotidienne des habitants et en favorisent le repli. À ce titre les multiples dimensions de la mobilité, tant sociale que géographique ou encore psychologique, constituent des leviers à privilégier. Cependant, lutter contre les représentations ne consiste pas uniquement à faire sortir des zones de banlieues leurs habitants. La véritable interaction appelle également à faire en sorte que l’ensemble de la population fréquente les zones périphériques. Aussi, y implanter des services grand public est une piste à ne pas négliger. Cela peut passer par l’implantation de centre culturel à vocation globale en lieu et place d’équipement seulement de quartier. Sans perdre toutefois les relations de proximité essentielles à la cohésion sociale, il faut redonner aux quartiers une vocation globale et non seulement spécifique.
Un plan d’action trop exclusif ?
L’enjeu contemporain de l’inclusion sociale vise prioritairement à intégrer l’individu conservant toute sa spécificité dans la société par une forme d’homogénéisation. La véritable réponse à l’exclusion n’est pas l’intégration comme il est régulièrement admis mais bien l’inclusion sociale. Cela signifie qu’il ne suffit pas de créer des dispositifs ad hoc en direction spécifique des individus connaissant des problématiques de ce type. Il importe aussi de favoriser la coexistence des individus dans les mêmes espaces en facilitant la mixité. Autrement dit, la cohésion des territoires passe par l’accès à des droits commun pour tous qui effacent les frontières symboliques entre les territoires et la catégorisation des habitants. Le transport en commun à travers les lignes de bus, le tramway ou encore le métro permettent assurément de rompre avec l’isolement territorial en facilitant et démocratisant les déplacements. Mais s’agissant des frontières symboliques, quels dispositifs permettent leur franchissement ? À ce titre, les propositions présentées dans le cadre du travail collaboratif présidé par Jean-Louis Borloo ne permettent pas de sortir de la stigmatisation territoriale. Qu’il s’agisse de « l’académie des leaders » ou de la banque d’investissement, les habitants des quartiers demeurent pointés comme mis à part de la norme. La batterie de mesures menée tambour battant est intéressante et utiles dans la mesure où celle-ci embrasse largement les problématiques concernant l’éducation, la sécurité, le logement mais cible encore une fois des territoires en proposant des mesures ad hoc risquant la stigmatisation. Cela peut s’expliquer par le fait que ce nouveau chantier qui se veut inédit n’a pas pour vocation de s’inscrire dans le temps. Il s’agit sans doute, pour ceux qui l’ont conçu, de considérer qu’ayant apportées leur résultat ces mesures n’auront plus lieu d’être. Les pratiques auront alors changé, s’inscrivant dans une nouvelle norme sociale. Il importe dès à présent de donner des raisons aux populations vivant dans les centres villes de se rendre en périphérie. Cela passe par une meilleure répartition des équipements, tant sportifs que culturels, qui offrent des opportunités au territoire. C’est sans doute pour cela que la politique de la ville depuis sa création fait l’objet – et cela se vérifie à chaque nouveau plan – de dispositifs extérieurs au droit commun.