N° 1235 | Le 18 septembre 2018 | par Élodie Renaudineau, monitrice éducatrice | Espace du lecteur (accès libre)
Après avoir travaillé dans différents établissements auprès de personnes handicapées, je ressens aujourd’hui le besoin de faire part de mes réflexions quant à la façon dont nous traitons ces personnes. Je n’ai rencontré que des professionnels voulant être bienveillants, là ne se situe pas le problème. Ce qui me choque de plus en plus et qui m’empêche de retourner travailler dans ces établissements, c’est la façon dont nous considérons les personnes handicapées sur le plan sociétal.
Il m’apparaît aujourd’hui comme anormal que les personnes handicapées soient enfermées entre elles dans des murs certes rassurants, mais aussi complètement excluant et stigmatisant. Comme si ces personnes n’étaient tellement pas adaptées à notre société qu’il serait bien inutile de les y intégrer. Les seuls contacts sociaux que nous leur proposons sont un rapport de professionnel à patient, ou de handicapé à handicapé. Je déplore que personne d’autre que nous, « professionnels », n’ait l’occasion de partir à la rencontre d’une façon de vivre le monde complètement différente de la nôtre. Et inversement évidemment... Le peu de fois où nous sortons des murs de l’établissement, nous les savons observés. Le regard des autres n’est pas toujours bienveillant car il est surtout plein de questionnements et de craintes. La « peur de l’inconnu ». C’est en réfléchissant à l’organisation d’une journée nettoyage de plage, (auquel j’envisageais de convier des personnes avec handicap), que j’ai réalisé à quel point nous ne les intégrions pas aux questions importantes et aux gestes citoyens de notre époque. À quel point il serait malheureusement novateur de leur permettre de prendre part aux enjeux écologiques de notre ère.
C’est tellement dommage que nous les considérions comme des êtres inférieurs qui n’ont rien à apporter à notre triste normalité. J’ai pu rencontrer des personnes qui m’ont beaucoup appris et qui m’ont permis de remettre en question cette normalité dont nous sommes si fiers. En effet, travailler avec des personnes handicapées c’est se rapprocher de ce qui se passe à hauteur des sens, des sentiments et de l’indicible. Des relations fondées sur l’instinct et le ressenti peuvent se nouer, ce qui est très enrichissant pour moi qui passe trop de temps dans ma tête à me poser mille questions.
Il se passe, qui plus est, quelque chose de très intéressant dans la société d’aujourd’hui car de nombreuses personnes cherchent à sortir du capitalisme. À sortir de notre confort et de notre surconsommation pour se tourner vers plus d’éthique, plus de morale et de valeurs humanistes.
Beaucoup de personnes nous invitent également à prendre la voie du développement personnel en revenant à nos instincts plus primitifs. Réapprendre à écouter son corps et ses sensations pour se laisser guider vers plus de bien-être personnel et collectif. Je peux confirmer qu’en passant du temps auprès de personnes handicapées, nous nous rapprochons de cette sensibilité là et qu’il est grand temps d’arrêter de traiter ces personnes comme moins adaptées que nous.
Leur message et leur raison d’être sont tout aussi importantes que les nôtres, et quand d’aucuns se demandent pourquoi il y a de plus en plus d’enfants naissant avec des symptômes liés au spectre de l’autisme, j’ai envie de répondre que la nature essaie sans doute de nous montrer la voie de la sagesse et que nous devrions être un peu plus à l’écoute.
Je m’arrêterais volontiers là-dessus mais il me faut préciser qu’il n’y a pas qu’à propos du handicap que ce cloisonnement nous dessert. Il serait important pour la société de demain, je crois, d’arrêter d’enfermer entre elles des personnes correspondant aux même caractéristiques et/ou problématiques. Une pratique parfaitement contre-productive (au sens noble du terme) et bien trop peu enrichissante pour tout un chacun.