N° 1238 | Le 29 octobre 2018 | par Lucie Masson Chabba, éducatrice spécialisée | Espace du lecteur (accès libre)
« L’embarras du choix, c’est l’angoisse », écrivait Romain Gary. Et l’absence de choix, qu’est-ce que c’est ? Au travail, ma mission de Super héroïne du Social (vous la sentez l’ironie, là ?) est d’accompagner des personnes, des familles, en difficultés de logement, en difficultés dans leur gestion budgétaire. Ces gens qui entrent dans mon bureau ou qui m’ouvrent leur porte sont qualifiés de gens pauvres. Ils peuvent être travailleurs, malades, handicapés, étrangers, mais ils sont toujours pauvres. Mais c’est quoi être pauvre en France en 2018 ? Les définitions sont multiples et complémentaires selon que vous lisez celles de l’INSEE, de l’OMS ou d’ATD Quart Monde. Loin de moi l’idée de vous faire un cours (je n’en ai aucunement les moyens), je voulais simplement vous soumettre une question : « Et si être pauvre était ne pas avoir le choix ? »
Bien entendu, comme vous tous j’ai entendu il y peu la réponse de notre président à l’interpellation de ce garçon horticulteur au chômage, ne trouvant pas de travail. Ce qu’il faut entendre dans sa réponse, c’est que lorsqu’on est au chômage, indemnisé ou non, lorsqu’on n’a plus de sous, il n’y a d’autre choix que d’accepter toutes les offres d’emploi. Ce qu’il faut comprendre, c’est que, selon lui, qu’importe que tu saches reconnaître les fleurs, planter des arbustes et cultiver un jardin, tu dois accepter n’importe qu’elle autre tâche même si tu n’y es pas formé. Tu n’as pas le choix. Si l’horticulteur peut faire le boulot du serveur, si l’informaticien peut poser des parpaings, c’est que nous sommes tous interchangeables, capables de tout, en étant formés à rien. Ce qui est effrayant dans ce discours c’est qu’on dévalorise la formation, la qualification. Pire, on la nie. Mais chut, tu n’as pas le choix.
Un radiateur dans la gueule
Ce n’est pas nouveau. Combien de témoignages recevons-nous de personnes qui, lorsqu’elles ont une proposition via Pôle Emploi (c’est assez rare, mais des fois, ça arrive, si si !), cela ne correspond pas à leur profil. Mais a-t-on le choix ? Très peu, car le risque est la radiation, à ne pas confondre avec l’irradiation qui consisterait à se voir exposer à un rayonnement. Non la radiation c’est un peu comme le radiateur que tu te prends dans la gueule et tu attends un peu avant de te relever, parce que ça fait quand même mal, un radiateur. La radiation c’est la punition, tu attends au coin (si tu as réussi à éviter le radiateur) et quand tu entends « Allez c’est fini, tu peux revenir » et bien tu cours te réinscrire.
L’absence de choix, chez les pauvres, n’est pas réservée au travail… On la retrouve dans beaucoup d’autres domaines, le logement notamment. Une personne, une famille survivant à la rue, hébergée par le 115, chez des amis, locataire d’un marchand de sommeil, ou vivant dans un logement indigne, toutes ces personnes vont entreprendre des recherches de logement et personne n’aura le choix. Si tu es pauvre, tu prends ce qu’on te donne. En disant cela, je ne veux jeter la faute sur personne, moi-même je dois dire à des familles que si elles n’acceptent pas le logement proposé, elles risquent de ne pas en avoir d’autres… L’absence de choix chez les pauvres n’est pas réservée au travail et au logement.
Quand on est pauvre, on ne peut pas choisir l’école de ses enfants, non plus. Si l’école de secteur nous plaît, tant mieux, si on veut une école privée, tant pis.
Quand on est pauvre, on ne peut pas choisir ses médecins, on prend celui qui veut bien de nous, mais surtout de notre attestation CMU-C.
On connaissait l’exclusion économique, l’exclusion culturelle, on peut aujourd’hui parler de l’exclusion par le choix. On dit que ce sont nos choix qui font ce que nous sommes, mais qui sommes-nous lorsqu’on n’a pas le choix ?