N° 1238 | Le 29 octobre 2018 | par Élodie Bonnel, assistante sociale | Espace du lecteur (accès libre)
À 21 ans, j’intégrai mon premier poste, dans un centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS). La direction remettait constamment en cause les capacités des salariés et parfois même leur intégrité. Mes positionnements professionnels, pourtant considérés pertinents par l’ensemble de mes collègues, n’étaient pas pris en compte. Je me sentis rapidement en désaccord avec les principes de cette institution. Je subissais une violence institutionnelle, et je cherchais le réconfort là où il était, dans le sourire d’un enfant ou dans le remerciement d’une famille que j’avais pu aider. Peu à peu, mes collègues et moi nous étions soudés pour dénoncer le harcèlement moral subi, allant jusqu’à mettre en place une procédure judiciaire et des manifestations, médiatisées par la presse. Cette première expérience de travail de trois ans avait été difficile, j’en conservais un souvenir amer.
Désillusions
Pour autant, je gardais foi en mon métier et ne remettais pas en cause le choix de ma profession. J’avais entamé mon nouvel emploi dans un établissement et service d’aide par le travail (ESAT), pleine d’espoirs de renouveau. J’y restais trois ans également. Les relations avec la hiérarchie étaient dépourvues de confiance. Tout n’était que procédures. Le directeur, un jeune loup issu du monde de l’entreprise, nous répétait à longueur de journée le risque que nous encourions de nous retrouver au pénal et qu’il n’irait pas en prison à notre place ! Constamment, une épée de Damoclès plaçait les salariés sous une pression permanente. Quant à Tristan, le chef de service éducatif, encore en formation et fraîchement débarqué, il ne savait pas de quelle manière asseoir son autorité ni mettre en pratique le management qu’il apprenait durant ses cours et n’hésitait pas à abuser de son pouvoir. Me voici donc à 25 ans, désenchantée et désillusionnée par le monde du travail.
Le poids de l’institution
Ce n’était pas tant l’accompagnement des personnes en difficulté qui était le plus compliqué mais bien le poids de l’institution, ses enjeux, ses stratégies, son histoire… On n’apprenait pas tout cela sur les bancs de l’école. On avait beau faire des études, rien ne nous préparait à ce qui nous attendait dans la vie professionnelle, on n’était pas suffisamment armé. Je changeai de nouveau de structure et travaillai pendant huit ans dans un IME et un SESSAD. Le manque de communication et de passage d’informations, problème souvent inévitable dans les institutions, était toujours présent. Il y avait un gros clivage entre les éducateurs et le paramédical et je ne faisais partie d’aucune corporation de métier. Le quotidien d’une assistante sociale, c’était utiliser la diplomatie sans modération, ménager les susceptibilités, composer avec les caractères de chacun, se révolter contre les passe-droits… Enfin, participer à des réunions interminables et inutiles, parfois houleuses. Je ressentais un profond décalage entre mes valeurs et ce qu’on me demandait de réaliser au quotidien. Je n’acceptais plus de devoir faire continuellement le tampon entre l’établissement et les personnes extérieures, et encore moins d’être le porte-parole de décisions qui n’étaient pas les miennes et que je ne cautionnais pas. Je subissais des pressions de la chef de service, qui me demandait de porter seule des signalements d’enfant en danger, par mail, sans concertation. Certaines de mes missions ne relevaient pas de l’assistante sociale.
Jours vides de sens
Ma direction ne prenait pas position et n’apportait pas de réponse à mes questionnements. Être tout le temps sollicitée ne me permettait pas de réaliser mon travail sereinement. Je n’avais jamais eu des collègues aussi négatifs, rigides et pleins de jugements de valeur envers les usagers. Je m’enfermais dans mon bureau, anesthésiant mes émotions, devenant comme une automate, exécutant mes tâches de manière robotisée. Insidieusement, je me consumais. D’abord, ma tension baissa. J’avais du mal à tenir debout, mais j’y allais. Des douleurs thoraciques et une difficulté à respirer s’installèrent subitement. On me fit passer une fibroscopie et on aperçut une gastrite. On m’expliqua que j’étais stressée. Je ne mis rien en place pour mon stress : je n’avais pas le temps. Mais je faisais front. Sans ciller. Je passais mon temps à courir. Le midi, je mangeais un sandwich dans ma voiture. En parallèle, j’étais très fatiguée, je n’avais aucune énergie. De violentes douleurs abdominales apparurent et ne me quittèrent plus. J’étais devenue l’ombre de moi-même, j’en voulais à tout le monde de devoir continuer à travailler dans cet état. Toujours être en représentation. Les jours se succédaient, vides de sens. Même les périodes de vacances, je n’étais plus épargnée. Je manquais de forces, de sève. Garder le cap, continuer, poursuivre coûte que coûte. Le dimanche soir était source d’angoisses. Je me sentais enfermée, sans issue. J’avais un CDI, un bon salaire, des conditions de travail avantageuses au niveau des congés mais j’étouffais. Je ne cachais plus mon mal-être et ma souffrance au travail, mes employeurs le savaient mais s’en moquaient, me renvoyant que j’étais toujours efficace dans mon travail. Je voulus faire un bilan de compétences mais mon directeur refusa. À bout de souffle, après tant d’efforts vains et sur les conseils de quelques collègues, je me retrouvais en arrêt maladie. Une semaine après, mon corps craqua, je perdis l’appétit et dix kilos. Des crises d’angoisse et des cauchemars m’envahirent. Après sept mois d’arrêt maladie, je demandai une rupture conventionnelle car je ne me voyais pas remettre un pied à l’IME. Je me sentis libérée d’un poids et c’est tout ce qui comptait. Je démarrai un bilan de compétences pour définir un nouveau projet professionnel.