N° 1253 | Le 11 juin 2019 | Gérard ZRIBI, Responsable d’un organisme de formation ARFI, ancien directeur général d’établissements et de services, auteur de nombreux ouvrages sur les handicaps | Espace du lecteur (accès libre)
« Guignolades onusiennes » : c’est ainsi que le Canard enchaîné (29-08-2018) désigne les positions du Conseil des droits de l’homme de l’ONU à propos de ses nombreuses condamnations des violations des droits et des libertés dans le monde. Ajoutons que celui-ci est, en effet, régulièrement recadré par le secrétaire général de l’ONU pour ses jugements outranciers et déséquilibrés.
Nous nous trouvons très clairement dans ce cas de figure à la lecture du rapport sur la situation des personnes handicapées en France (« Rapport de la rapporteuse spéciale sur les droits des personnes handicapées » diffusé le 8 janvier 2019). Des sujets aussi complexes que la capacité juridique ou l’administration de soins psychiatriques sans consentement à des personnes présentant un « handicap psycho-social » (?) sont traités de manière expéditive. Après quelques jugements hâtifs, inexacts ou encore mensongers (stérilisation forcée, intimidation des parents afin qu’ils placent leur enfant en institution…) sur le non-respect par la France des diverses conventions internationales et le soutien de positions toutes personnelles de la rapporteuse du Conseil sur ce que devrait être une politique du handicap, le rapport émet une longue série de « recommandations » en direction du gouvernement français.
La principale d’entre elles consiste à faire de la société française, une « société inclusive » en fermant les services et établissements spécialisés au nom du concept largement travesti de « désinstitutionnalisation ». Selon elle, tous les enfants, y compris avec un « handicap sévère », doivent être accueillis à l’école, les adultes en entreprise, et, pour le logement, au sein de résidences où l’autonomie est de mise. Que deviennent alors les autistes de Kanner, les polyhandicapés, les enfants ou adultes présentant un handicap rare, les psychotiques, les handicapés psychiques graves, les handicapés vieillissants (doit-on les confier à leur fratrie ?) Ont-ils droit à une solution appropriée et à une vie sociale ou doivent-ils au nom d’une conception abstraite de l’autodétermination être maintenus à domicile avec quelques prestations ponctuelles ? Il s’agirait dans le second temps d’une interprétation tout à fait libre sur « la convention internationale relative aux droits des personnes handicapées ». En effet, selon le Guide pratique sur la convention internationale relative aux droits des personnes handicapées (2019), il n’est, à aucun moment, question de renoncer aux structures spécialisées ou spécifiques. Ce document rappelle très justement que les personnes handicapées doivent avoir accès aux droits fondamentaux (à l’éducation, à l’emploi, à la solidarité…).
C’est ainsi que le rapport établi par Mme AGUILAR au nom du Conseil des droits de l’homme de l’ONU s’écarte clairement des textes officiels sur lesquels elle dit s’appuyer. L’application de ses « recommandations » provoquerait immanquablement un transfert important de la solidarité collective vers le privé-familial, déjà très sollicité dans la vie au quotidien. Sous couvert de l’émancipation des personnes handicapées, c’est, en réalité, à un recul de la protection sociale auquel nous assisterions. Par ailleurs, est-on bien conscient que les institutions et services médico-sociaux destinés aux personnes handicapées n’existent vraiment que dans les pays riches ayant développé un haut niveau de prise en charge et d’accompagnement des personnes handicapées (Allemagne, France, Belgique, Suède, Pays-Bas…) ? Doit-on y renoncer ?
Faut-il rappeler également que depuis plus d’une vingtaine d’années en France, le développement des services (SESSAD, SAMSAH, SAVS…) a été exponentiel par rapport à la création de places en institutions (mis à part celles recevant des personnes lourdement handicapées et malades), rééquilibrant ainsi l’éventail des réponses toujours plus articulées les unes aux autres en matière d’éducation, de logement et d’emploi ? Faut-il rappeler enfin que les droits des personnes handicapées à un choix de vie (ce n’est pas en fermant des structures qu’il sera respecté !) et des droits au sein des établissements et services (contrats individuels et collectifs, règlement de fonctionnement, individualisation de l’accompagnement, instances de concertation, dont les conseils de la vie sociale…) sont réellement exercés par les personnes handicapées et leurs proches ? En fait, la controverse se situe au niveau d’approches antinomiques à propos de l’inclusion.
En effet, l’inclusion n’est pas un placement physique ; bien au contraire, elle implique un processus humain, psychologique, social et matériel, dans lequel des choix réels de vie, la fluidité et l’ouverture des champs (d’éducation, de vie, de travail…), la normalisation de l’existence, les apprentissages pratiques et les liens socio-relationnels sont conjugués pour proposer un continuum de solutions adaptées, plurielles et évolutives.
L’inclusion se fonde, selon nous, sur l’accessibilité de chacun aux droits de tous, c’est-à-dire ceux de bénéficier d’une éducation, de la scolarisation, d’une formation, d’une occupation sociale ou d’un emploi valorisés ou encore d’un habitat adapté. Ce n’est donc pas le lieu où s’exercent ces droits qui est prédominant ; c’est la construction d’un éventail de réponses protégées, assistées, semi-intégrées, accompagnées ou ordinaires qui permettra l’accès aux droits fondamentaux et au choix d’existence.