N° 1253 | Le 11 juin 2019 | par Christine Bartel, éducatrice spécialisée | Espace du lecteur (accès libre)
Je viens d’en terminer la lecture. Je voudrais porter à la connaissance des lecteurs de Lien Social une lettre reproduite dans le livre Paroles de migrants de Pauline Bandelier (1). Elle a été confiée par un migrant à un compagnon d’infortune au cas où il ne survivrait pas. Son auteur s’est noyé.
« J’ai fui la mort et la mer m’a embrassé. Je vous conseille de lire mais de ne pas pleurer, car les larmes ont séché sur mes parents et mes frères de l’injustice qui nourrit leur vie tous les jours. Je suis désolé, Maman, la pirogue a coulé. Je n’ai pu arriver en Europe et je ne pourrai pas non plus vous envoyer l’argent que je vous dois pour le voyage. Ne t’attriste pas, ma mère, si on ne retrouve pas mon corps, quels avantages en bénéficieriez-vous maintenant ? Que de coûts d’expédition, de sépulture et de consolation. Je suis désolé, Maman, à cause de la guerre, j’ai dû partir comme les autres, bien que mes rêves ne soient pas plus grands que ceux des autres. (…) Je suis désolé, ma belle maison en Europe, parce que je ne vais pas accrocher mon manteau derrière la porte. Je suis désolé pour vous les plongeurs et ceux qui rechercheront peut-être les disparus, je ne connais même pas le nom de la mer où je me suis noyé. Rassurez-vous, administration chargée de l’asile, je ne serai pas pour vous un lourd fardeau. Merci à la mer qui nous a accueillis sans visa, ni passeport. Merci aux poissons qui vont se partager nos chairs et ne poseront pas de questions sur nos religions ou nos affiliations politiques. Merci aux chaînes d’actualité qui vont raconter l’histoire de notre mort pendant cinq minutes toutes les heures pendant deux jours. Merci à Hassane et Abdullah si vous survivez, car vous serez tristes lorsque vous entendrez la nouvelle. Mais moi, je ne suis pas désolé puisque j’ai coulé. »
(1) Ce livre sera présenté à la rentrée.