N° 1256 | Le 3 septembre 2019 | par Gabrielle Guinaudeau, éducatrice spécialisée | Espace du lecteur (accès libre)
Il y a des processus étranges qui amènent des personnes issues d’un groupe à produire la même chose contre laquelle elles pensent se battre tous les jours. « On est tous d’accord pour être d’accord », une sorte de consensus de la non-remise en question de nos convictions, de la non-discussion sur des sujets qui, de faits, sont ok.
Ceci est un témoignage concernant la vie dans une équipe « soignante » qui, parce ce que ses membres sont tous d’accord pour être d’accord, vous fait enfouir sous une chape de béton votre idée différente, votre besoin d’ouverture ; vous fait écraser votre remise en question de l’ordre établi, comme on écrase sous son pied un insecte qui rentre dans la maison. S’offrent à vous deux possibilités : ou bien vous choisissez d’être d’accord pour être d’accord ou bien vous tentez de maintenir en vie votre libre pensée au risque de finir par tenter de maintenir en vie le simple fait de penser. L’équipe préfère rester entre elle. Ce consensus qui fait son unité la rassure, la protège d’un extérieur qui est le plus souvent menaçant.
L’institution au sens large est vénérée dans tout ce qu’elle apporte de positif, les plus de huit semaines de congés par an, la confiance donnée au salarié sur les horaires effectués, la souplesse accordée sur l’emploi du temps, un enfant malade à garder, ses offres de cinéma à moindre coût… La partie intouchable. Les personnes qui incarnent cette institution, celles-là mêmes qui tentent d’y apporter du changement, parfois positif, parfois négatif, sont des menaces. Toutes, ou presque. Elles sont fourbes et malintentionnées, se dit l’équipe. Elles veulent détruire notre équilibre. Si elles proposent quelque chose qui semble être bénéfique au premier coup d’œil pour les salariés, l’équipe redouble sa méfiance.
Alors, elle ne compte que sur elle-même. Elle voit le monde changer autour d’elle, les institutions évoluer. Elle s’en inquiète et prend du temps pour en parler, c’était mieux avant. Tout le monde est d’accord, alors cela lui confirme qu’elle a raison de continuer à faire face à tous ces changements, ces idées, ces pratiques nouvelles qui pourraient bien la mettre en péril, la diviser, lui imposer vicieusement, petit à petit, des éléments nouveaux en son sein, qui ne seraient, peut-être, pas d’accord pour être tous d’accord… Alors le système se renforce, les défenses font force. Ce fonctionnement devenu quasi naturel donne une raison d’être à l’équipe et à chacun de ses membres qui, par la méfiance, « résiste », par la plainte, existe.