N° 1043 | Le 15 décembre 2011 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

183 jours dans la barbarie ordinaire. En CDD chez Pôle Emploi

Marion Bergeron


éd. Plon, 2010 (235 p. ; 18,50 €) | Commander ce livre

Thème : Chômage

Voilà un récit mené avec un humour qui n’arrive pas à cacher ni l’écœurement, ni la souffrance de son auteure. Appartenant à ces 1840 CDD de six mois embauchés par Pôle Emploi en 2009, pour faire face à l’ampleur de la crise, Marion Bergeron nous décrit la misère et la détresse humaine, les dysfonctionnements et absurdités de son institution, l’impuissance et les épreuves endurées qu’elle a subies. Situation d’autant plus difficile à gérer, qu’on n’a bénéficié d’aucune formation et qu’on arbore comme seule préparation la qualification de graphiste.

Son récit nous plonge dans l’envers du décor d’un dispositif en plein désarroi, dû à la fusion entre l’ANPE et l’Assedic. Se retrouver au chômage crée une situation de stress qu’un certain nombre de demandeurs d’emploi ne réussit pas à exprimer autrement que par la violence. Au poste d’accueil, fatigue et lassitude s’accumulent, face aux altercations, aux tensions, aux incivilités, aux agressions verbales des mécontents qui viennent là pour dégoter un être humain sur lequel déverser tous leurs démons. Mais cet air saturé de violence et d’anxiété doit aussi beaucoup aux réformes menées.

Auparavant, chaque agence possédait son propre numéro de téléphone. Dorénavant, c’est une plateforme (39 49) qui centralise tous les appels : 350 000 appels par jour. Chaque entretien téléphonique ne doit pas dépasser sept minutes, le traitement du dossier qui s’ensuit trois minutes, les pauses devant se limiter à dix minutes. Un régulateur veille au grain, n’hésitant pas à rappeler à l’ordre celui ou celle qui n’est pas dans les clous. L’enjeu n’est pas d’apporter une aide efficace mais de faire du chiffre et de renflouer les indicateurs de l’agence : chaque employé reçoit cinquante-quatre appels par jour ? Il faut augmenter la cadence, pour arriver à soixante-dix !

Et puis, il y a l’incohérence permanente entre les offres d’emploi et l’aspiration des candidats. Adieu les beaux rêves et les grands projets. C’est le marché du travail qui ordonne. On est prié de rédiger une lettre de motivation expliquant que depuis sa petite enfance, on ne rêve que d’une chose : conduire un Fenwick, ranger les entrepôts et préparer des commandes, parce que les seules offres disponibles sont celles de magasinier manutentionnaire.

Refusant d’endosser le rôle du petit soldat dans cette fonction de travailleur pauvre mal payé conseillant d’autres travailleurs pauvres mal payés, à accepter des emplois où ils seront encore plus mal payés, l’auteure tentera d’introduire un peu d’humanité dans son travail, au point de se faire traiter d’assistante sociale, avant de quitter son poste avec soulagement et… d’aller s’inscrire à Pôle Emploi.


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