N° 1043 | Le 15 décembre 2011 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Notre système de santé possède des plateaux techniques à la pointe des innovations technologiques les plus récentes et des équipes soignantes particulièrement performantes. Il était considéré en 2000, par l’Organisation mondiale de la santé, comme le meilleur au monde. Il est aujourd’hui au bord du coma. Patients sur des brancards alignés les uns derrière les autres dans les couloirs sans que quiconque ne puisse répondre à leur détresse ; encombrement permanent des urgences résultant de prises en charge plus sociales que médicales ; flux tendu pour les fournitures : compresses ou lingettes pour laver les chambres contingentées, couvertures de survie venant remplacer les couettes, protection pour personnes incontinentes changées moins souvent ; temps d’infirmière réduit à huit minutes par patient, le reste étant passé en préparation des thérapeutiques, en prises de rendez-vous d’examens, en tenue du dossier de soins avec traçabilité de chaque acte, transmission d’informations, de consignes.
Les causes, Martine Schachtel, cadre infirmier les énumère. En moins d’une décennie, 60 000 lits ont été supprimés de façon anarchique. Avec 3,6 lits de soins aigus pour 1 000 habitants, la France est moitié moins dotée que l’Allemagne. La recherche des économies budgétaires provoque un processus que l’on peut comparer à la gangrène : on dépèce, on rogne, ne remplaçant pas un poste ici, un autre là… Notre pays possède en moyenne 0,56 personnel par lit, contre 0,75 en Allemagne, 1,36 en Italie, 1,68 en Espagne et 1,8 en Grande Bretagne. Une absence est particulièrement criante : celle concernant les places disponibles en maison de repos, de rééducation et de réadaptation, en soin de suite et long séjour, au regard de l’accroissement de la population de personnes dépendantes et de l’allongement de la durée de vie. Il n’est pas rare, par exemple, qu’un service de cardiologie de quarante lits accueille une dizaine de patients âgés de plus de quatre-vingt-dix ans ne pouvant rentrer chez eux, mais qu’on ne sait pas où orienter, bloquant ainsi les entrées.
La tarification à l’activité (T2A), imposée depuis 2007, a transformé l’hôpital en une entreprise contrainte de comptabiliser tous ses actes à partir d’une codification précise. Recette et dépense passant avant la santé du patient, tout est bon pour réduire les déficits en privilégiant les malades les plus rentables. À l’extrême, mieux vaudrait amputer un malade de sa jambe que de le soigner des semaines durant pour lui permettre de la garder, l’hôpital n’étant pas alors plus payé dans un cas que dans l’autre. On ne parle plus de « service public » mais de « missions publiques », d’« hôpital » mais d’« établissement de santé », cette sémantique montrant un glissement vers une privatisation et un système de santé à deux vitesses, seuls les patients pouvant payer les dépassements d’honoraires, recevant alors des soins de qualité.
Dans le même numéro
Critiques de livres