N° 1303 | Le 19 octobre 2021 | Critiques de livres (accès libre)
La duperie de la philanthropie
La philanthropie serait un engagement au service du bien commun. En fait, elle est fondée sur un paradoxe : soulager d’une main la misère qu’elle a créée de l’autre ! « Les riches ont toujours légitimé leur situation, en faisant preuve de générosité » rappelle Didier Minot (p.29). Il serait logique de concevoir que ces démarches caritatives travaillent à leur disparition. Elles ne font, en fait, que circonscrire les inégalités, pas de s’y attaquer : aucun de ces riches donateurs ne veut renoncer à l’accumulation, considérant qu’il n’y a pas d’alternatives à l’accélération néo-libérale de l’économie mondiale. Après avoir proposé une chronologie historique de la philanthropie, l’auteur constate un effet « vase communiquant » : plus la régulation étatique est puissante, plus les œuvres de bienfaisance sont faibles. Quand Roosevelt critiqua la charité, considérant comme un devoir social d’aider les plus démunis, il finança la solidarité par une taxation des très hauts revenus américains allant jusqu’à 91 % en 1941. Un tiers des institutions charitables disparurent, ne couvrant plus que 1,3 % des besoins (contre un quart, dix ans auparavant). Parmi les effets pervers de la financiarisation de l’économie des années 1980/90, on compte le désengagement de l’État social (réduisant ses subventions aux associations de 34 à 20 % de leur budget) et l’accumulation d’énormes richesses provoquant une augmentation des inégalités. Les institutions philanthropiques ont quasiment quintuplé en vingt ans. Triple belle affaire pour le secteur privé : opportunité d’optimisation fiscale grâce la défiscalisation des dons ; opération de communication, malgré la faible proportion des dons, en rapport avec les dividendes versés ; enfin, tentative de changer l’image d’un capitalisme qui serait devenu acceptable.
Jacques Trémintin
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