N° 1349 | Le 9 novembre 2023 | Critiques de livres (accès libre)
Un livre qui nous permet de mettre un peu de théorie et de concepts sur ce sentiment de malaise que nous ressentons tous dans le monde du socioéducatif.
À propos d’éthique
Le coup de l’éthique
L’autrice commence par nous rappeler quelques règles de base du néolibéralisme et la place de l’État dans cette donne sociale incontestée. Le profit bien sûr mais surtout la concurrence et le besoin de moralisation, en tout cas d’une certaine moralisation au sein de l’entreprise. Dans un premier temps, à la fin du 20ème siècle, les entreprises ont rivalisé de textes, de réunions managériales et de comptes-rendus pour proposer une « offre éthique ». On a surmultiplié les stages de formation à la déontologie et à la moralisation des affaires. L’entreprise devenait un lieu moral et cette moralité, qu’il s’agisse de Carrefour, Esso, SNCF ou autre, un argument publicitaire. Un peu comme l’est aujourd’hui le respect de l’environnement ? Le salarié n’est alors plus seulement un travailleur qui bosse pour sa boîte du mieux qu’il le peut mais il est entraîné dans un projet moral ; c’est l’apparition des fameuses « valeurs d’entreprise » où l’employé se doit de respecter ces « valeurs » et de se montrer digne de son entreprise.
Le social suit la mode
Dans ces mêmes années, une circulaire dite « Fillon » pose le travail social comme une sorte d’activité économique comme une autre, se devant d’obéir aux mêmes fonctionnements de concurrence et bien entendu d’« éthique ». La marchandisation repose sur une logique libérale considérant alors le social comme un bien qui peut être solvabilisé au bénéfice d’entreprises privées lucratives. On pourrait bien sûr à ce titre citer les exemples précis des crèches et des EHPAD dans lesquels on ne compte plus les chartes déontologiques et autres chartes éthiques. Pour quel résultat ? Le fait d’asséner aux employés les valeurs sacrées de la maison permettant peut-être de leur faire oublier les manquements professionnels et matériels ? Au final, ces valeurs s’avèrent être les mêmes - respect, bienveillance, solidarité, performance, sécurité, etc. - chez Total, EDF, Leclerc ou à la sécurité sociale et à l’association à vertu sociale Althéa.
L’esprit procédurier
En fait, les travailleurs sociaux (comme beaucoup d’autres salariés) ne réclament pas plus d’éthique mais des conditions de travail décentes pour pouvoir travailler au service des bénéficiaires.
Comme nous en faisons tous l’expérience, cette « moralisation » s’est doublée d’une surenchère de démarches et de formulations de « bonnes pratiques » et de questionnements sur sa place au sein de l’entreprise ou de l’association, mais aussi du respect de l’éthique, chaque action devant répondre à des questions simples comme par exemple : en ai-je référé à mon supérieur ? Est-ce une bonne action pour la boîte ? Mon action résistera-t-elle a un examen public ? Ces questions n’étant en réalité qu’une forme de contrôle sur le salarié par la multiplication des procédures.
Le danger de tout cela étant bien entendu le risque d’éloigner le travail socio éducatif des attentes des praticiens et des usagers.
L’autre effet pervers est que toute transgression de cette « charte éthique » entraîne une faute professionnelle. L’autrice donne ainsi l’exemple du code de conduite de la Croix-Rouge dont la charte déontologie comprend le « respect de la hiérarchie, loyauté et l’exemplarité dans le contrôle ». Un simple mode banal de management qui se pare des beaux habits de l’éthique. Le livre regorge d’exemples très illustratifs et d’un coup, on se sent moins seul dans notre malheur !
Étienne Liebig
l’autrice
Anne Salmon, philosophe et sociologue, est professeure des universités au CNAM, chercheuse au laboratoire Histoire des technosciences en société (HT2S). Elle est responsable du master Recherche en travail social. Biographie : Vivre et penser la participation (2023), Pour un travail social indiscipliné (2022).
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