N° 1349 | Le 9 novembre 2023 | Critiques de livres (accès libre)
Le bruit des talons aiguilles . Itinéraire d’un enfant placé.
Jonathan Moncassin, Lætitia Delhon
Il est des trajectoires hors du commun, comme toutes celles que nous rencontrons dans nos métiers. Il y a des récits qui, comme un boomerang, viennent résonner avec notre vécu de travailleur social, comme un bruit de talons aiguilles.
À propos de résilience
D’enfant placé à éducateur
J’avoue que je ne savais pas comment me permettre une recension de ce livre. Peut-être parce que j’ai été moi-même éducateur en protection de l’enfance et que ce récit a fortement résonné en moi. Peut-être parce que des histoires comme celle de Jonathan Moncassin, nous en avons plein les tiroirs, que nous avons refermés comme pour nous protéger.
Mais son témoignage sort du commun et touche au cœur de cible. Il bouleverse par son écho et sa force de résilience. J’y reviendrais. Bien sûr, l’auteur raconte son parcours atroce d’enfant battu, son placement salvateur, ses rencontres décisives et les mains tendues qu’il a su saisir. Il permet aussi de revaloriser le travail social et ses victoires, son utilité.
Plongée dans l’horreur
D’entrée, nous sommes plongés dans l’horreur de ce quotidien de violence. La force est de témoigner pour tous les autres et d’expliquer, par le récit, des concepts clefs de la problématique de l’enfance maltraitée et de la famille. À travers son questionnement, l’auteur se demande ce qu’est une famille, la filiation, expose les non-dits familiaux, cherche ses origines généalogiques, explique par sa situation la reproduction sociale et familiale. Le phénomène d’emprise maternelle est aussi détaillé tout comme le conflit de loyauté très bien posé.
La violence n’est pas seulement familiale mais aussi sociale, entre les groupes de pairs, à l’école. Le monde de l’auteur n’est que violence et l’on se demande comment grandir avec ces repères comme étant la norme. Heureusement, il y a des éclaircies dans cet univers qui nous font penser à une vie meilleure. Des déclics salvateurs vers des terres inconnues, loin de la violence.
Force de résilience
Puis le signalement par cette maîtresse qui « donna un tournant à ma vie ». L’auteur nous livre alors son vécu de l’intérieur du placement, ce sentiment d’abandon, l’arrivée au foyer, l’accueil, la rencontre avec les éducateurs-trices, avec Didier, décisive. La suite ? Je vous invite à la lire.
Au-delà du récit de Jonathan Moncassin, c’est bien la force de résilience qui marque par cet écrit cathartique. Mais pas seulement. Dans nos métiers, nombre de travailleurs sociaux ont vécu les souffrances et les violences, pas uniquement en protection de l’enfance, avant de devenir des professionnels de la relation d’aide. Certains le disent, d’autres le gardent pour eux. Jonathan Moncassin a eu cette force de reconstruction, de protection, de travail distancié qu’il met à profit aujourd’hui : « pour protéger la construction de ma propre famille, la distance est indispensable (...) et pour me protéger tout court. » Mais aussi, pour « apprendre de ce que l’on vit ».
Cependant la question demeure : « Qu’est-ce qui guide vers les bons choix ? » Cela étant dit, « Une fois adulte, prendre la voie d’éduquer quand on est soi-même le fruit de manques dans sa propre enfance, voilà une histoire singulière… Et l’écrire pour en faire histoire commune ? » Un témoignage poignant d’une grande utilité pour toutes les personnes concernées par les violences intrafamiliales, les étudiants en travail social, les professionnels du secteur.
Ludwig Maquet
Les auteurs
Jonathan Moncassin a été éducateur spécialisé dans l’institut thérapeutique et pédagogique (ITEP) où il a été placé à l’âge de neuf ans. Il est désormais éducateur sportif et coach en préparation physique et mentale.
Lætitia Delhon est journaliste, spécialisée dans le travail social et médico-social. Elle collabore à différentes revues et a collaboré à Lien Social.
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