N° 1127 | Le 21 novembre 2013 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Xavier Bouchereau s’était lancé le défi de rendre compte du travail qu’accomplit un éducateur spécialisé, en protection de l’enfance. Pari lancé, pari gagné. Quand on sait la difficulté de rendre dicible ce qui est éminemment singulier et particulier, l’on mesure la qualité du résultat.
En une soixantaine de vignettes cliniques, aussi brèves que percutantes, l’auteur égrène dix années de son expérience en AEMO judiciaire, à la manière d’un journal de bord dont il nous aurait choisi les extraits les plus significatifs. Son récit nous plonge dans la nature humaine dans ce qu’elle a de plus glauque, mais aussi dans ce qu’elle a de plus réjouissante. Ses descriptions nous font découvrir la perversion extrême de certains parents et le courage sans fin de bien d’autres. Ses souvenirs nous accrochent à ces enfants au destin peu enviable et à ceux qui, contre vents et marées relèvent la tête, malgré tout.
Xavier Bouchereau nous dresse le portrait d’un professionnel profondément humain, marqué par une grande humilité. C’est cette visite dans un logement nauséabond, jonchés de détritus, noir de crasse et piqués de moisissures. C’est ce face à face avec un adolescent en pleine crise de schizophrénie, le couteau à la main, bien décidé à s’en servir. C’est cette rencontre encadrée de cet enfant avec une mère lui promettant de ne plus jamais disparaître, mais que son fils ne reverra jamais plus. Ce sont ces adolescents désespérés qui basculent dans le passage à l’acte délinquant, comme pour tenir la vie à distance. C’est cette démarche promise et maintenue, malgré un lumbago carabiné qui nécessitera que l’adolescent aide son éducateur coincé dans sa voiture, à en sortir.
Exercer ce métier, c’est accepter de gérer la tempête de sentiments qui vous assaille : colère, joie, dégoût, peur, passion, désillusion. C’est apprendre à ne pas suréagir aux événements et relever son seuil de tolérance. C’est réussir à s’impliquer, tout en sachant se protéger. C’est savoir qu’on ne sait pas et être toujours en position d’apprendre. C’est essayer d’inventer sans moyens et combler les écarts entre la réalité et les beaux discours. C’est renoncer aux certitudes et abandonner l’idée d’imposer ses normes éducatives, en s’ouvrant à la manière de vivre des autres. C’est rechercher la part d’humanité dans ce qui peut au premier abord apparaître comme inimaginable. C’est tenter de résister à la dictature de l’urgence et surseoir, afin de se poser pour mieux penser.
A travers le tableau d’un quotidien qui a été le sien, dix années durant, Xavier Bouchereau porte, de sa place de chef de service qu’il occupe aujourd’hui, un regard nostalgique et lucide sur une fonction qu’il a exercée avec passion et ténacité : « Ce métier a ceci d’incroyable que l’on reçoit autant que l’on donne qu’on en soit conscient ou non. Cela rend infiniment modeste. »
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