N° 1236 | Le 2 octobre 2018 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Voilà un coup de colère qui mérite d’être relayé. Il émane d’un adulte autiste, écrivain et comédien, qui revendique sa différence et proclame sa fierté d’en être doté. Parce que la voix de ses sœurs et de ses frères est marginalisée, étouffée et censurée, il le crie très fort : il ne supporte plus que l’on parle de son identité comme d’un mal, d’une épidémie, d’un fléau, d’une maladie ou d’une calamité qu’il faudrait éradiquer… ou faire correspondre au profil neurotypique.
Si un enfant préfère rester seul pour réfléchir à la composition du système solaire plutôt que de jouer au ballon, s’il analyse chaque mot du professeur ou s’il se balance un peu trop sur sa chaise, il faut l’envoyer de toute urgence dans un centre de rééducation, afin de le rendre conforme aux codes standardisés.
Psychose pour la psychanalyse, trouble du développement pour les comportementalistes ou maladie génétique pour les biologistes, l’autisme ne bénéficie d’aucune considération, d’aucune reconnaissance, d’aucune valorisation de ce qui relève non d’un handicap, mais d’une intelligence différente. Pas celle qui excelle dans le verbe, l’image et le paraître, mais dans la compréhension intuitive des appareils et des logiciels et dans l’apprentissage accéléré du code écrit.
Si la Silicone Valley pourrait bien compter 50% d’ingénieurs autistes, si Microsoft lance chaque année des campagnes de recrutement réservé à cette population, si Israël ouvre une université dédiée à leur accueil, notre pays ne sait encore que leur imposer la camisole chimique, l’institutionnalisation, l’enfermement, voire la déportation à l’étranger par manque de structures d’accueil. À l’âge adulte, 90% sont au chômage et ils remplissent les deux tiers des hôpitaux psychiatriques.
Quand la norme est érigée en modèle unique, elle passe à côté de la biodiversité humaine : « une société bâtie sur l’injonction de normalité se prive d’horizon » (p. 132). Parmi les cent millions d’autistes que compte le monde, certains se sont emparés d’internet, qui est à leur communication ce que la langue des signes est aux sourds. Et ils ont bien l’intention de se faire entendre. Ils revendiquent l’adaptation de la société aux spécificités des « neurodivergents » : autistes bien sûr, mais aussi dyslexiques, dyspraxiques, surdoués. Voilà qui est dit et fort bien dit.
À côté des éducateurs et des soignants psychanalystes ou comportementalistes, des associations de parents et des établissements médico-sociaux qui s’entredéchirent ou s’entendent tous pour tenter de soigner l’autisme, il va falloir compter sur celles et ceux qui veulent le promouvoir !
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