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🎥 CINĂ âą Le Monde aprĂšs nous
Le Monde aprĂšs nous
Un film de Louda Ben Salah-Cazanas. 1 h 25.
Avec AurĂ©lien Gabrielli (Labidi), Louise Chevillotte (Ălisa), Saadia BentaĂŻeb (Fatma), Jacques Nolot (Jacques), LĂ©on Cunha da Costa (AlekseĂŻ).
Sortie 20 avril.
Jeune et précaire
LorsquâĂ la prĂ©caritĂ© sâajoutent des douleurs plus intimes, la vie devient fatigante, mĂȘme si lâon est jeune avec des projets. Labidi, Ă©crivain en devenir, survit Ă Paris, entre dĂ©brouille et petits jobs.
En coloc dans une chambre de bonne, livreur de pizzas Ă vĂ©lo — souffrance des corps invisibilisĂ©s, surexploitĂ©s et sous-payĂ©s —, en perpĂ©tuel dĂ©ficit sur son compte bancaire, frigo vide, Labidi vit aussi de belles amours naissantes et nourrit un projet de livre, acceptĂ© par un Ă©diteur. Lâespoir dâune meilleure vie se profile ; en attendant, câest la galĂšre.
Transfuge de classe
Une mĂšre tendre, toujours encourageante, dâorigine tunisienne ; un pĂšre aimant — au point de prendre le nom et le dieu de sa femme —, dont la mort reprĂ©sentera le passage Ă lâĂąge adulte (enfin) de Labidi. Tous deux sont bistrotiers lyonnais. Lui, Ă Paris, vit au-dessus de ses moyens et frĂ©quente les Ă©diteurs : « je suis un bĂątard de classe, transfuge, transclasse, bobo, prolo aussi, qui fait semblant de vivre comme les riches »âŠ
Honte sociale
Dans les rues de Paris comme dans ses relations, le jeune homme trimballe son mal-ĂȘtre⊠et sa honte. Il essaie de refuser — en vain — lâaide financiĂšre de ses parents ; par hasard, il livre une pizza chez un copain de fac, et lui ment : « Câest pour mon roman, pour me mettre dans la peau de mon personnage » ; Ă rĂ©pĂ©tition, les distributeurs bancaires refusent dâhonorer ses demandes ; il essuie le mĂ©pris de son conseiller littĂ©raire lorsquâil dĂ©cide de changer de styleâŠ
Paris-Lyon, allers retours
Les trajets sont pour le jeune homme un moyen de sortir de la violence parisienne, de la promiscuitĂ© des lieux de vie. Fatma et Jacques, ses parents, sont lĂ , toujours, pour lui, Ă tel point quâil donnera dans leur troquet un rendez-vous surprise Ă Ălisa, son amour vacillant, encore fragile. Mais ĂȘtre transclasse reste violent : on nâappartient Ă aucune des deux rives.
Combines et démerdes
Labidi bricole de fausses fiches de paie, Ă©nonce de dangereuses vellĂ©itĂ©s dâemprunter du fric pour le placer en bourse, vend son appareil photo et son IPad avant de les dĂ©clarer volĂ©s pour toucher lâassurance. Lorsquâil se fait embaucher dans un magasin dâoptique — payĂ© au smic « plus les primes » — aux techniques de vente et aux pratiques managĂ©riales sidĂ©rantes, il vend dans la rue les paires de lunettes quâil vole. Pour sâen sortir, il faut une Ă©nergie folle.
Précarité à tous les étages
Ces jeunes, nous indique le rĂ©alisateur, se caractĂ©risent par lâurgence dans laquelle ils se meuvent. Et par leur fragilitĂ© : un soir, son coloc et ami, AlexeĂŻ, le reconnaĂźt « je suis un boulet, jâĂ©tais avec mon plan Tinder, elle mâa jartĂ© aprĂšs une premiĂšre biĂšre » ; le tout est Ă lâavenant. Labidi pique des pĂątes au saumon pour inviter sa copine Ă dĂźner. Toujours, il est sur une corde raide, le bout du rouleau ne semblant jamais loin.
Portrait dâune gĂ©nĂ©ration
Comment ĂȘtre jeune Ă Paris, sans argent et issu dâune classe qui ne permet pas de vivre Ă la capitale ? Avec une poĂ©sie et un humour salvateurs, dans un monde du travail gĂ©nĂ©rateur de prĂ©caritĂ©, se dessine la silhouette paumĂ©e, mais lumineuse, dâune gĂ©nĂ©ration dĂ©cidĂ©e Ă survivre, et Ă aimer. Ici, les barriĂšres invisibles — en lâoccurrence les origines sociales et « ethniques » du personnage principal — ont du mal Ă ĂȘtre pulvĂ©risĂ©es. In fine, une belle peinture du monde de demain.
Joël Plantet