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4 avril 2023

🎥 CINÉ • Pouvoir d’agir

S’emparer des inégalités sociales à bras-le-corps et vouloir à tout prix transformer la société, quitte à s’y perdre. Généreux, mais dangereux.

Les hommes se pressent à l’embauche. Nous sommes à la fin des années 1970 et il s’agit, à l’usine Citroën, de bosser à la chaîne sur la fabrication des 2CV. Parmi les postulants, Robert, aspirant ouvrier, donc et… agrégé de philosophie. En effet — ils furent entre deux et trois mille — quelques militants maoïstes, le plus souvent issus de la bourgeoisie, ont décidé d’infiltrer les usines et d’y préparer la révolution. Ce sont les « établis ».

Attendre l’étincelle

« On ne devrait pas avoir des casques, avec tout ce bruit ? »… Le militant sème, ici et là, des graines de révolte. Il s’agit aussi pour lui de repérer d’éventuelles « têtes de pont » pour mener à bien son entreprise de déstabilisation. Mais l’opportunité rêvée se présente lorsque la direction de Citroën décide de se rembourser des accords de Grenelle en exigeant des ouvriers qu’ils travaillent gracieusement pendant 45 minutes par jour. Là, ça déborde…

S’émanciper des chaînes

Engourdissement de la pointeuse, chefs d’atelier anciens de la Coloniale, ouvriers dépendant du Valium pour tenir, blouses blanches tyranniques et racistes, primes liées aux cadences, conditions de travail infernales… Le 18 décembre 1969, premier jour de grève, ils sont ainsi des milliers à débrayer. Plusieurs forces en présence : quelques femmes, archi minoritaires mais résolues, des OS italiens et nord-africains, une CGT représentée par un prêtre ouvrier, en face de cadres intermédiaires traqueurs de meneurs…

La vraie place

Un peu comme, un demi-siècle plus tard, Florence Aubenas dans Ouistreham, la levée du secret — ici à l’initiative d’un chef malveillant — va se révéler terrible. Un sentiment de trahison, forcément, émerge : « si Robert est licencié, il retrouvera son emploi de prof, pas nous ! »… En même temps, des liens forts se sont noués. Ça ne rendra pas les choses plus faciles. Même s’il est légitime de rêver d’un autre monde, Robert en paiera le prix fort.

Empowerment

Alors, s’immerger dans la classe ouvrière — la vivre soi-même dans sa chair — pour la comprendre et l’accompagner dans une lutte d’émancipation ? Avec quelle légitimité ? Même si la question ne se décline plus aujourd’hui dans les mêmes termes, une idée essentielle se dégage, qui se réfère à Hannah Arendt : il est essentiel de distinguer le travail — assurant sa subsistance — de l’œuvre, à savoir que l’on fait pour donner du sens à sa vie.

Joël Plantet

L’Établi

Un film de Mathias Gokalp. 1 h 57.

Avec Swann Arlaud (Robert Linhart), Mélanie Thierry (Nicole), Denis Podalydès (Junot), Olivier Gourmet (Klatzman).

D’après l’ouvrage de Robert Linhart L’établi publié en France aux Éditions de Minuit.
Sortie 5 avril 2023.

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