N° 973 | Le 20 mai 2010 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Hier, on exigeait de l’enfant qu’il obéisse et qu’il se soumette au destin qui lui était imposé. Aujourd’hui, on attend de lui qu’il se découvre par lui-même et qu’il forge de façon autonome sa propre personnalité. François de Singly refuse tout autant la seule relation verticale autoritaire du passé que l’unique voie horizontale contemporaine de l’auto-engendrement de l’individu. Il en appelle, dans cet essai tout à fait pertinent, à s’engager dans une troisième voie : celle qui conjugue la capacité à faire preuve d’autorité et la faculté d’écoute attentive de l’enfant, celle qui articule l’énonciation des règles et son droit d’expression, celle qui combine la transmission de l’héritage des générations précédentes et la possibilité de trouver sa propre voie.
« L’enfant ne peut se construire s’il n’a pas reçu suffisamment, il ne peut non plus devenir lui-même, s’il ne dispose pas de marge de manœuvre personnelle » (p.93), explique-t-il ainsi, mettant en évidence le paradoxe permanent que constitue l’éducation : guider l’enfant tout en le laissant se trouver par lui-même. Le changement intervenu dans notre société ne relève pas tant d’une disparition de ce que l’adulte aurait à transmettre, que du fait que c’est l’enfant qui décide et choisit ce qu’il va retenir ou non de l’héritage qu’il reçoit. La tâche, qui incombe aux parents se voulant émancipateurs, consiste dès lors bien à s’engager dans un long voyage au cours duquel ils se positionnent surtout comme des accompagnateurs. Ils apportent certes un cadre, des repères et des limites, mais ils laissent aussi suffisamment d’expérimentation pour permettre à l’enfant, par le jeu des essais et des erreurs, de progresser, à son rythme, dans la découverte du monde qui l’entoure. Ils doivent veiller à ce que leur attention, pour nécessaire qu’elle soit pour sécuriser leur enfant, ne devienne pas un obstacle à son développement personnel.
S’ils ont la responsabilité de fournir des ressources sociales nécessaires, ils doivent tout autant accueillir avec bienveillance celles apportées de façon complémentaire par le groupe de pairs ou le reste de la société. Si les valeurs de l’autonomie interdisent un contrôle total de leur part, ils ne doivent pas pour autant renoncer à intervenir : ils sont à la fois proches et distants, se montrent disponibles sans s’imposer, inscrivent l’enfant dans la succession des générations, tout en préservant sa singularité. Ils doivent accepter d’être des autruis significatifs mais seulement partiels. Leur fonction se situe entre fusion et fission. Il leur faut agir de telle façon que l’enfant apprenne progressivement à se passer d’eux.
Décidément, c’est épuisant et exigeant d’être un « bon parent ». Mais ça ne l’est pas moins de grandir pour un enfant.
Dans le même numéro
Critiques de livres