N° 1242 | Le 8 janvier 2019 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Michel Brioul nous propose ici une somme passionnante sur la question de l’émergence de la violence dans le secteur médico-social. Les actes qui en relèvent ont été multipliés par quatre entre 2008 et 2013, sans que l’on sache distinguer entre l’accroissement réel des faits et le choix de les signaler plus fréquemment.
Des mutations contemporaines peuvent néanmoins éclairer une probable inflation : l’abolition de la frontière entre la folie et la déficience d’abord, mais aussi cette fragilisation de l’étayage professionnel durable propre à restaurer chez l’usager les fonctions contenantes défectueuses. Celles-ci se traduisent à travers la substitution de la clinique par le fonctionnement formel, du besoin par la demande, du sens par l’efficacité tangible, sans oublier le remplacement du symbolique par l’économique. Reste que, même aggravée par toutes ces dérives, la violence est inhérente à toute relation humaine. C’est une résultante de la transaction entre la compétition et le pouvoir d’un côté, la négociation et la coopération de l’autre. Le passage à l’acte intervient quand cette tension ne peut être ni contrôlée, ni gérée, ni métabolisée. Les frontières se délitant alors entre le licite et l’illicite, le bien et le mal, la légalité et la transgression, la décharge motrice débridée se combine avec la défaillance de la mentalisation et l’échec de la symbolisation.
Les carences affectives, éducatives et symboliques auxquelles sont souvent confrontées les populations du secteur médico-social sont autant de facteurs favorisants. Il en va de même chez le patient psychotique en proie à la porosité et aux failles des limites, à l’absence du sentiment de continuité et de différenciation, à la confusion entre la pensée et le concret, l’intérieur et l’extérieur, l’imaginé et le tangible. L’auto-agression constitue alors la seule option pour répondre à une angoisse ou à un vécu insupportable. L’institution, même si elle est garante de l’intégrité et de la sécurité, ne doit pourtant pas chercher à éradiquer cette violence dans une visée normative, mais à l’identifier au symptôme d’une énigme à élucider. Il faut rejeter tant le laisser-faire (on n’y peut rien), que la tolérance zéro (répression rigide).
Il convient d’abord de qualifier la violence agie : est-elle pathologique, délictueuse, éthique, psychologique, idéologique ou civique ? Puis, déterminer la capacité du sujet à intégrer une éventuelle sanction et/ou réparation. Encore, l’accompagner dans la réappropriation de ce qui s’est passé. Et surtout prendre soin de la victime traumatisée par la violence subie.
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