N° 859 | Le 1er novembre 2007 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Longtemps, le social s’est méfié de l’urgence. Parce qu’elle confine au misérabilisme, parce qu’elle n’agit que sur les effets, parce qu’elle s’oppose à l’inscription dans le temps de la relation avec l’usager. Son changement de statut date de la modification du code pénal en 1994 qui fit disparaître les délits de vagabondage et de mendicité. L’apparition concomitante du SAMU social marque certes la fin de la maltraitance institué contre les SDF. S’il n’est pas question de nier ici le progrès qu’a représenté le passage de leur statut de délinquant à celui de victime, on peut constater que le droit de vivre dans la rue s’est accompagné du droit à y mourir.
Pour répondre à la légitime émotion de l’opinion publique et lui donner le sentiment qu’on agit, une assistance minimale particulièrement visible a été largement déployée. Son effet pervers et pour tout dire désastreux tient au fait qu’elle évacue tout accompagnement social dans la durée, en enfermant ces populations dans la ponctualité de la prise en charge, là où leur problématique dominante est frappée du sceau de la chronicité. Elle inscrit l’action sociale non comme un droit, mais comme une possibilité négociable laissée à l’appréciation discrétionnaire des intervenants. Les urgentistes confrontés à la pénurie criante des offres d’hébergement n’ont d’autre choix que de s’adonner à une véritable loterie. L’institution d’un système basé sur l’incertitude plonge les SDF dans l’incapacité d’élaborer des solutions pour s’en sortir.
On ne peut s’empêcher de relier cette approche à la vision d’un public qu’on assimile un peu trop souvent à des malades mentaux, désocialisés, désinsérés, désaffiliés, acculturés, et anomiques. On retrouve là « notre capacité, prouvée au fil des siècles de nier l’existence de la culture des groupes qui s’organisent en partie ou en totalité, de manière différente de nos normes du moment » (p.31). Si la rencontre avec un SDF provoque de la compassion, elle crée aussi une forme de rejet face à un individu qui apparaît comme un véritable anachronisme vivant, non-conforme à la fois aux conventions sociales et à l’idée que nous nous faisons du progrès de notre société. Dès lors, « il est plus facile de considérer les SDF comme des fous et des sauvages qui ne trouvent pas leur place dans la société plutôt que de chercher à comprendre la folie et la sauvagerie de notre fonctionnement social qui amène une partie de la population à vivre dans la rue » (p.17).
Et l’auteur de décliner les stratégies mises en œuvre au quotidien. Les sans-logis savent détourner le mobilier urbain (cabines téléphoniques, bouches de chaleur, porches, quais de métro se transformant en cuisines, en lit, en salle à manger) et mettre en scène leur détresse pour instrumentaliser l’organisation institutionnelle et s’accaparer les professionnels. Ils ont su tout particulièrement adapter leur mode de vie et développer leur capacité à habiter durablement l’espace public et s’attacher l’assistance, montrant leur aptitude à intégrer les codes culturels de leur environnement.
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