N° 859 | Le 1er novembre 2007 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

Vies ordinaires, vies précaires

Guillaume Le Blanc


éd. du Seuil, 2007 (294 p. ; 21 €) | Commander ce livre

Thème : Précarité

« Amis de la philosophie, bonsoir ». Dans un style dense et parfois complexe, jouant sur les mots et mettant les mots en jeux, Guillaume Le Blanc nous propose une réflexion roborative et décapante qui réjouira le lecteur osant se risquer sur les chemins parfois escarpés qu’il propose. L’expérience de la précarité, explique l’auteur, est avant tout une précarisation de l’expérience. Elle implique un repli progressif vers des sphères toujours plus limitées dans lesquelles la visibilité sociale est incertaine et hautement fragilisée. Certes, toute existence ordinaire est par essence confrontée au risque de la vulnérabilité : la mort est dans la vie.

Mais, ce qui marque tout particulièrement la précarité, c’est la dépossession de soi. Le précaire tend à être hors de lui. Son quotidien contient les procédés de déquotidianisation. La désaffiliation lui fait perdre la faculté de raccorder sa vie à un travail porteur de toute une série de gestes, d’opérations, de liens sociaux, d’échanges verbaux. La mise à l’écart induit une mise entre parenthèses des formes d’action sur soi habituellement soutenues par l’activité salariée. Elle le prive de l’incorporation des normes tout autant que des relations de dépendances sur lequel l’humain peut s’établir.

Dans ce sens, on peut affirmer qu’il y a fragilisation du lien d’humanité. « Une société humilie ses membres lorsqu’elle fait pes er sur eux un doute quant à leur inscription réelle dans le genre humain. » Facteur de dégradation, la frontière n’est plus vraiment entre le travail et l’absence de travail, mais entre les différentes formes de travail : la flexibilité et l’adaptabilité se torsadent à partir d’un même écheveau produit par le délitement des différentes formes de sécurité sociale. Pour autant, la précarité n’a rien d’irréversible, comme voudraient nous le faire croire ceux qui en font la conséquence normale des rapports sociaux. Elle n’a rien de naturel, mais est totalement construite.

L’auteur rend hommage à la clinique du travail social en lui fixant pour véritable signification de délier la précarité de la mélancolie, en permettant à l’homme qui en souffre d’avoir à nouveau confiance en sa voix. La détresse d’un « surnuméraire » ne peut changer que si elle s’adresse à un tiers. Cet accomplissement n’est pourtant pas simple à se réaliser. Le refus de toute aide peut être l’ultime initiative que le précaire s’octroie. Il peut en outre se heurter au traitement urgentiste qui transforme sa souffrance en pathologie, lui réservant alors une intervention médicalisée. Sa voix comme sa demande sont tout, sauf évidentes. C’est pourquoi, il convient moins de le réparer que de l’accompagner en favorisant la restauration de ses capacité narcissiques et pragmatiques et sa réappropriation d’un agir créateur qui le transforme d’individu en sujet.


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