N° 1297 | Le 8 juin 2021 | Par Leila Hamaidia, éducatrice spécialisée 3e année, EESTS de Maubeuge | Espace du lecteur (accès libre)
Deux moments clés de ma formation d’éducatrice spécialisée
Au moment de réaliser mon bilan de formation, deux situations vécues sur mon premier terrain de stage viennent s’inscrire dans les moments dits « marquants » de mon parcours de professionnalisation. Elles illustrent deux accompagnements éducatifs que j’ai pu mener dans un foyer de vie pour adultes en situation de déficience intellectuelle, avec troubles psychiques associés.
Aujourd’hui, je les garde en mémoire car elles me rappellent combien l’entrée en relation éducative démarre de l’attention portée à l’autre, et que « la relation éducative n’est pas dans l’injonction à parler mais dans le détour, l’errance, la perte de temps, la confidence et le partage ». (1)
Mme H. ne me connaît pas et manifeste beaucoup de réserve à mon égard. Le contact est difficile à établir et mes tentatives d’approche restent vaines : elle décline toute aide que je peux lui proposer, que ce soit une aide pour la toilette ou simplement pour l’accompagner jusqu’au réfectoire le midi. Il arrive même que je n’obtienne pas de réponse de sa part lorsque je lui dis bonjour. Je décide alors d’improviser une nouvelle rencontre, par une approche cette fois originale et teintée d’humour. Mme H. porte des bas de contention qu’elle ne sait pas mettre seule. Elle sollicite donc l’aide de l’équipe éducative chaque matin. Je lui signifie alors que si elle me l’autorise, je peux être plus rapide que ma collègue à les lui enfiler. Intriguée, elle accepte, et tel un défi, une course s’entame. L’éducatrice en poste et moi-même nous affairons, chacune sur une jambe, pendant que Mme H. rit et nous encourage. Ce jour-là, je gagne la course mais pas que… Une porte s’est également ouverte et ce fût manifestement la clé de cette rencontre.
Monsieur M. ne parle pas. Il se montre très souvent agressif avec les autres usagers, mais aussi avec l’équipe éducative. Le cadre est difficile à poser, et Monsieur M. montre généralement son mécontentement de manière vive, en tirant les cheveux ou en donnant des coups de pieds.
Un jour, alors que nous sommes en pleine activité, et pour ce qui me semble à ce moment-là sans raison, il m’agrippe la main et la serre de plus en plus fort. Plus je lui fais savoir qu’il me fait mal, et plus il serre et me fait mal. Monsieur M. va réitérer ce même geste à plusieurs reprises, et ce sont mes collègues qui devront à chaque fois m’aider à libérer ma main de la sienne. Pour mieux comprendre ce comportement et pouvoir ajuster le mien, j’ai évoqué ces faits au psychologue du service. Sa réponse n’a été autre que : « lui as-tu demandé pourquoi il faisait cela ? ». Et bien non… Je me rends compte que je ne l’ai pas fait, que ma réponse n’était surement pas appropriée. À ce moment précis, je ne l’ai pas « écouté » et je suis restée focalisée sur les faits bruts, sur ma douleur. Face à une nouvelle tentative de Monsieur M., qui me serre à nouveau la main très fort, je le regarde et lui demande cette fois pourquoi il me serre la main de cette façon : « Avez-vous mal quelque part ? » Aussitôt, Monsieur M. me lâche la main et me montre sa bouche… Il souffrait en fait d’une rage de dent, et ce comportement à mon égard visait simplement à m’exprimer sa douleur.
« Dans le détour » de ces deux rencontres, j’ai compris que la relation éducative est un processus ponctué de patience, qui nécessite un temps d’apprivoisement propice à la construction du lien. Si la personne fuit la relation, c’est à nous de la rejoindre sur son terrain, à la recherche d’un langage commun.
(1) Philippe Gaberan, éducateur spécialisé et docteur en sciences, La relation éducative, un outil professionnel pour un projet humaniste, 2019, p. 43.