N° 1291 | Le 16 mars 2021 | Critiques de livres (accès libre)
Éducateur, c’est pas une sinécure
Michel Decodin ne cache rien ni de sa catastrophique première soirée comme professionnel dans un foyer d’adolescents, ni de sa râpeuse première rencontre comme chef de service avec une équipe de professionnels d’un autre foyer, dix-huit années après. Car, ce qui a toujours été au centre de sa relation à l’autre, c’est la franchise, la justesse et l’assertivité. De sa riche expérience, il nous livre des constantes contre-intuitives : le paradoxe en éducation, c’est la capacité permanente d’adaptation qui permet de passer du possible à l’interdit, du plaisir au déplaisir, de la concession à la frustration… et inversement. Pour cela, il faut être suspendu à l’inattendu et se rendre perméable à la gestion de l’instant. Le droit à l’inconstance et au laisser faire intentionnel s’oppose aux codes et aux protocoles qui se figent dans la fragilité des certitudes. Ne pas chercher à être dans la performance ni dans l’excellence, mais reconnaître au contraire ses impasses est la meilleure manière pour oser l’impensable. Vouloir tout maîtriser implique de ne pas respecter le rythme de l’autre. Au contraire, ne pas chercher à le changer, mais à le surprendre en se montrant provocateur, innovateur et incitateur. Voilà une esquisse énigmatique d’une profession que l’auteur illustre à travers de nombreux exemples concrets qui font entrer le lecteur dans la complexité de son action quotidienne. Qui, aujourd’hui, imaginerait priver un groupe de jeunes placés de leurs smartphones ? C’est pourtant ce que fit Michel Decodin et son équipe en supprimant la télévision. Le pire des risques, c’est ne de pas en prendre. Ouvrir un crédit à la librairie la plus proche pour chaque jeune, leur proposer des séances de contes, les entraîner dans la rédaction d’un petit journal… Inimaginable ? Et pourtant cela a fonctionné !
Jacques Trémintin
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