N° 1005 | Le 10 février 2011 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

De l’oralité. Essai sur l’égalité des intelligences

Jean-Pierre Terrail


éd. La Dispute, 2009 (281 p. ; 21 €) | Commander ce livre

Thème : Connaissance

L’argument expliquant l’échec scolaire fut, jusqu’aux années 1960, l’absence de don. Les systèmes explicatifs qui se succédèrent ensuite firent état soit du marquage social du savoir (Bourdieu), soit des moins bonnes performances linguistiques des classes les plus défavorisées (Bernstein), soit encore de la proximité de la culture orale des couches favorisées avec la culture écrite (Goody). Mais dans tous les cas, le handicap socioculturel devint l’interprétation princeps de cette problématique, avec pour corollaire le déficit en ressources intellectuelles des enfants qui échouaient à l’école.

Il y aurait donc d’un côté ceux qui seraient familiers de la culture écrite et donc de l’abstraction, de la logique et de la maîtrise théorique, et de l’autre, ceux qui privilégieraient la culture orale, le pré logique et le rapport au concret. Jean-Pierre Terrail s’oppose à cette représentation, consacrant son ouvrage à en démontrer l’inanité. Tout son raisonnement consiste à réhabiliter l’oralité. La pensée réflexive, abstraite et logique n’est pas liée spécifiquement à l’écriture, mais au langage. Les civilisations premières qui n’ont jamais accédé à l’écrit ne possédaient pas moins des capacités à manier les images et les métaphores, à classifier et mettre en ordre le monde qui les entourait, à utiliser un système de numération nécessaire aux échanges économiques et à user du rythme et de la musicalité des mots que permet la poésie, démontrant ainsi leur curiosité intellectuelle et leur aptitude à développer des pratiques non utilitaires d’expression.

Il est donc tout à fait abusif de réduire la production verbale à l’immédiateté, au seul concret et à la difficulté à entrer dans un processus cognitif. Tout au contraire, l’accès à la parole signe l’entrée dans des compétences permettant de concevoir le monde sur le mode de la causalité, du raisonnement, de la dynamique réflexive. Même si seules les civilisations de l’écrit ont développé la philosophie, l’épistémologie et la science, il est peu raisonnable d’imaginer des êtres humains n’ayant développé qu’une tradition orale, être privés de logique et ne déployant pas de goût pour l’activité intellectuelle désintéressée, explorant, raisonnant, découvrant et exerçant leurs facultés, rien que pour le plaisir de le faire.

Le propos de Jean-Pierre Terrail n’est pas de nier la différence entre l’oralité et l’écriture, mais de refuser toute hiérarchisation. Pour lui, s’il n’y a pas identité, il y a égalité des intelligences qui permettent d’accéder à ces deux modalités de la pensée. Et il faut chercher du côté de la compétition qui gangrène l’école et l’inefficacité des pédagogies l’origine de l’échec scolaire plutôt que du côté de l’incompétence des élèves.


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