N° 1057 | Le 5 avril 2012 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Etienne Liebig explique avoir écrit ce livre, non pas tant pour déconstruire les représentations qui forgent notre inconscient, que pour les énoncer. Ce qu’il cherche à définir ce sont les mécanismes mentaux qui permettent de reproduire les mêmes discriminations et exclusions de génération en génération. Il y a eu, ces dernières années, et il y a encore, la ségrégation envers les populations arabes. Mais avant elles, il y a eu par ordre chronologique : les Belges, les Espagnols, les Polonais, les Italiens et bien sûr les juifs. Les unes après les autres, ces communautés ont été victimes de l’ostracisme populaire, médiatique et étatique. Aujourd’hui, c’est au tour des Roms.
Premier ressort identifié par l’auteur, la pensée coloniale (fondée sur la conviction de l’existence d’une direction prédestinée dans l’histoire) qui confierait à certains peuples la mission civilisatrice d’en faire sortir d’autres de l’obscurantisme. Cette vision implique de percevoir l’autre comme inférieur et donc de hiérarchiser les prétendues races entre elles.
Second ressort, le structuralisme qui a fortement marqué la pensée intellectuelle du siècle dernier. Cette théorie prétend que les processus sociaux relèveraient de structures invisibles et inconscientes obéissant à des règles communes, intangibles et immuables, à la fois dans leur forme et dans leur évolution. Il s’agirait donc de classifier les éléments observés pour les regrouper en un système anthropologique cohérent, au regard de constantes traversant les liens de parenté, le rapport au sacré, la culture des morts, etc. Si cette démarche permet d’appréhender la complexité des mécanismes socioculturels, elle présente l’inconvénient majeur de choisir parmi des phénomènes disséminés, ceux qui correspondent à la grille de lecture établie conformément à un dogme pré-établi.
Troisième ressort, celui de ces thèses essentialistes qui font correspondre un individu à ce qu’il devrait être, au regard de son appartenance ethnique. Il ne pourrait alors être autre chose que le produit de la culture dont il est issu. Or, les peuples se sont mélangés, acculturés, envahis, aimés, massacrés en fonction des richesses locales, des religions, des cultes, des guerres. Aucun n’a préservé une identité qui se voudrait unique.
Dernier ressort, la tendance à la généralisation du cas particulier et isolé d’un individu que l’on étend à toute sa communauté d’appartenance. L’auteur illustre ces mécanismes en les appliquant aux Roms, démontrant nombre de clichés et de stigmatisations réductrices qui leur sont appliqués, déniant la diversité d’un peuple transformé en dernier bouc émissaire à la mode.
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