N° 1057 | Le 5 avril 2012 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
C’est dans une caravane que Raymond Gurême naît, en 1925. Il appartient à ce peuple des Voyageurs qui a pris bien des noms à travers l’histoire : Yéniche, Sinti, Bohémien, Romanichel, Tsigane, Gitan, Baraqui. Lui se désigne comme Français, forain, circassien (artiste de cirque) et Manouche qui, en langue romane, signifie « homme ». Toute sa culture a pour but de devenir un être humain fiable et libre dans sa tête. Ce n’est donc pas par loyauté à une ethnie ou à une généalogie, qu’il revendique d’être « Fils du vent », mais bien par fidélité à un code de conduite et à un mode de vie menacé de disparition.
S’il prend la parole aujourd’hui, à quatre-vingt-six ans, c’est que face aux discours haineux stigmatisant les Roms, de mauvais souvenirs lui sont revenus, lui l’un des derniers Tsiganes survivants des camps d’internement de la Seconde guerre mondiale. Il a décidé de raconter à ses dix enfants et ses cent cinquante petits enfants et arrières petits enfants, l’histoire qu’il avait jusque-là gardée pour lui. Son enfance, il l’a vécue avec ses parents et ses huit frères et sœurs, se déplaçant de ville en ville et proposant un spectacle de cirque et de cinéma ambulant. Tout le monde était content de voir arriver ces divertissements qui égayaient une vie rude faisant alors peu de place aux loisirs. C’est sur la place centrale qu’ils s’installaient. Même si bien des gens peinaient à comprendre un mode de vie qui ne consiste pas à posséder mais à être et dont l’existence se déroule dans l’instant et non dans le passé ou l’avenir, peu de barrières les séparaient des sédentaires. Ils ne ressentaient pas de défiance à leur égard.
Puis vinrent la guerre et le décret du 6 avril 1940, interdisant la circulation des nomades : six mille d’entre eux vont être enfermés dans trente camps d’internement. Raymond Gurême décrit l’arrestation au petit matin, le transport dans des wagons à bestiaux, la marche forcée à coups de crosse et de matraque, l’arrivée dans les baraquements du camp de Linas-Montlhéry, les barbelés, la vermine, les poux et les puces qui grouillent, l’absence de couvertures, de tables, de chaises, de lumière électrique. La sous-alimentation oblige à manger les chenilles et asticots qu’on enlevait au début et qui font là office de viande (en un an, il maigrira de 20 kg). La privation de chauffage en hiver contraint à se lever la nuit pour marcher, afin de ne pas mourir d’engourdissement (il y a bien des corvées de bois, mais c’est pour chauffer les gardiens). Cet enfermement survivra à la Libération, et ce jusqu’en 1946.
Raymond Gurême raconte ses évasions, ses emprisonnements, son entrée dans la Résistance et ses confrontations avec ses anciens gardiens qu’il retrouve reconvertis dans l’administration ou la gendarmerie. Et puis, surtout, cet État français qui au mieux les traite avec indifférence, au pire avec une franche hostilité. Tout va-t-il recommencer ?
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