N° 1259 | Le 15 octobre 2019 | Critiques de livres (accès libre)
L’essence d’un métier
Il n’y a pas à dire : ce sont quand même les professionnels concernés qui parlent le mieux de leur métier. Et ce n’est pas le livre de Dominique Lepage qui démontrera le contraire. À l’image de certains artistes ou artisans décrivant avec passion leur activité, l’auteure transmet tout au long des pages qu’elle lui consacre ici la considération qu’elle éprouve pour la profession d’éducateur spécialisé. La définition qu’elle propose ne pourra qu’entraîner l’adhésion. Il s’agit pour elle d’un métier protéiforme allant à la rencontre de la vulnérabilité sous toutes ses formes : corps, enfance, absence, exil, blessures physiques et psychiques. Il ne s’agit pas simplement d’être aux côtés d’autrui, comme implique la notion d’accompagnement, mais aussi de se placer à la fois devant pour le tirer, derrière pour le pousser et dessous pour le porter.
La première étape c’est bien d’entrer en relation. C’est là emprunter un chemin tortueux, escarpé et incertain. D’abord, parce qu’on peut côtoyer l’autre pendant des années, sans jamais le rencontrer, alors qu’on peut y arriver en le croisant furtivement. Ensuite, parce qu’à travers l’altérité, ce que l’on recherche, c’est soi. Et pour se trouver, il est indispensable d’avoir suffisamment restauré sa propre enfance et être devenu un adulte fiable. Enfin, parce qu’aussi créatif, généreux ou ambitieux soit-il, l’éducateur n’obtiendra aucun résultat sans la mobilisation de la personne en difficulté dans un projet qui soit le sien. On n’est donc jamais assuré du résultat que produira l’action. En prévenant la toute puissance, cette incertitude est plutôt un atout. Pour entrer dans cette congruence avec autrui, il faut éprouver des affects et un attachement à son égard, amorcer une accroche et un ancrage, ce transfert se tissant dès le début de la relation. Il faut regarder plutôt que de voir, déguster plutôt que goûter, humer plutôt que sentir, écouter plutôt qu’entendre et toucher plutôt que saisir. Drôle d’alchimie nécessitant d’observer et de patienter, d’encourager et de rassurer, d’être disponible et de faire preuve d’empathie : être un audacieux qui croit pour deux, un entrelaceur jamais lassé et un passeur qui ne fait que passer. La qualité de cette présence ne pourra être évaluée par aucun référentiel, ni démarche qualité. Les mots employés ici sont justes, les expressions éclairantes et la démonstration limpide.
Jacques Trémintin
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