N° 915 | Le 5 février 2009 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
S’il est bien une population dans notre pays qui, depuis des siècles, reste victime de discrimination, c’est bien celle que l’on désigne sous le terme générique de gens du voyage. Ils intriguent souvent (leur mode de vie dérange les normes dominantes), ils fascinent parfois (leur sens de la famille et de la solidarité est un atout dans une société atomisée et individualiste), mais ils sont le plus souvent l’objet de rejet et de stigmatisation.
Bien des idées reçues perdurent. Premier préjugé : les présenter comme une communauté uniforme. S’ils partagent une langue aux racines communes (le Romani), les Roms sont différents des Gitans qui le sont tout autant des Manouches. Ils ne partagent pas la même réalité culturelle et sociale. Second préjugé : leur attribuer un fonctionnement forcément nomade. Les uns voyagent, les autres sont sédentaires, d’autres encore alternent des périodes de mobilité et de stabilité : « le mode de vie induit par le type d’habitat valorisé n’est pas déterminant » (p.113).
Troisième préjugé : les prendre pour de riches trafiquants (« ils roulent dans des véhicules flambants neufs et possèdent de luxueuses caravanes »). Comme dans toutes les communautés, il existe des Tsiganes qui ont de l’argent. Mais la plupart souffrent de la pauvreté. La qualité de leur existence, aggravée par l’accueil qui leur est réservé (absence d’eau et d’électricité, sites pollués, terrains non stabilisés, présence de rats et de maladies contagieuses) se mesure à une espérance de vie rabaissée à 50 ou 60 ans et une mortalité infantile supérieure de 7 à 8 fois à la moyenne nationale.
Quatrième préjugé : les considérer comme illettrés. La culture orale tsigane s’oppose effectivement à la culture scolaire, les comportements exigés à l’école allant souvent à l’encontre de ceux valorisés à l’intérieur de la communauté. Mais, la pédagogie adaptée dispensée dans les écoles mobiles qui sont proposés à leurs enfants, leur permet d’intégrer les codes écrits de la société dans laquelle ils vivent. Cinquième préjugé : les considérer comme a priori rétifs aux règles et aux lois (« ils s’installent partout, en ne respectant rien »).
Il existe environ 8 000 places d’accueil disponibles pour une population estimée entre 220 000 et 300 000 personnes. Manquant cruellement d’aires de stationnement, les tsiganes s’arrêtent dans les seuls interstices que l’urbanisme envahissant laisse accessibles au stationnement spontané : triangles d’autoroute, zones insalubres, déchetterie. Les populations tsiganes constituent depuis des siècles une minorité culturelle qui revendique de trouver sa place dans une société qui n’a cessé de vouloir l’assimiler de force, délégitimer son mode de vie et la contraindre à se sédentariser. Cet ouvrage qui parle d’elle avec tant de force et de justesse est à lire absolument.
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