N° 1039 | Le 17 novembre 2011 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
« Toutes les grandes personnes ont d’abord été des enfants, mais peu d’entre elles s’en souviennent », écrivait Antoine de Saint-Exupéry, dans la préface de son célèbre livre Le Petit Prince. Pascal Le Rest est de ceux qui ont échappé à cette amnésie. Le récit qu’il nous propose n’est pas seulement une plongée dans l’époque de sa propre adolescence que les cinquantenaires liront avec une nostalgie certaine. Il est aussi une tentative fort réussie d’identifier ce qui, dans la geste adolescente, est transversal à toutes les époques. Certes, les références culturelles laisseront dubitatifs bien de jeunes lecteurs : les Deep Purple, AC-DC, Lavilliers, Leo Ferré, Doors, Iggy Pop, Alice Cooper ont disparu ou ont dépassé la soixantaine.
Effectivement, le style « blouson noir », en santiags, avec cheveux longs et gueule patibulaire, terrorisant les voyageurs du métro persuadés qu’on est sur le point de les égorger, de les étriper et de violer leurs femmes, c’est un peu daté. Mais, après tout, remplaçons ces « voyous » des années soixante, par nos jeunes beurs de banlieue contemporains et on retrouvera le même sentiment d’insécurité. Quant à la découverte du monde du travail d’il y a cinquante ans, elle a été remplacée par le chômage. Franck, le double de Pascal Le Rest dans ce récit, trouve facilement des petits boulots et mesure tout aussi vite le degré d’aliénation dont ils sont les synonymes. Son premier travail consiste à présenter répétitivement sur un tapis roulant une revue, un prospectus publicitaire et une enveloppe réponse qui seront ensuite enveloppés par un film plastifié. Ce travail à la chaîne lui ronge très vite les neurones, lui grignote les synapses et distille un étrange poison dans ses circuits, au point de lui donner la folle envie de foutre une bombe dans cette boîte où le bruit démoniaque des machines recouvre tout.
Et dire que l’objectif quotidien de tant de banlieusards, condamnés à la morosité et à la mélancolie, se résume alors à courir de son clapier à ce type de travail le matin et l’inverse le soir. Qu’il est frustrant de voir passer tant d’hommes et de femmes devant soi, traverser sa vie un court instant et sans doute pour la dernière fois et de ne retenir d’eux qu’un regard figé, vide et vitreux. Qu’il est révoltant de voir l’injustice, l’iniquité, l’inégalité, la lutte fratricide s’ériger en idéal d’existence et de vivre en troupeau sur le trottoir, devant les arrêts de bus, dans les trains, dans les supermarchés, quand on rêve de couleur, de chaleur, d’émotions, de tumulte, de cascade… Hier, on dévorait Freud, Reich, Herbert, Marcuse ou Nietzsche. Aujourd’hui, on se retrouve à la Puerta del Sol à Madrid, dans un square du centre de Jérusalem ou à Wall Street à New York, avec les Indignés du monde entier.
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