N° 1268 | Le 3 mars 2020 | Critiques de livres (accès libre)

Femmes et mères après l’inceste

Soraya De Moura Freire et Luc Massardier


Éd. Érès, 2019 (184 p. – 15 €)

Thèmes : Abus sexuel, Parentalité

Survivre à l’agression

Les femmes, à qui ce livre donne la parole, sortent de l’adolescence ou sont au seuil de la maternité. D’autres ont acquis la maturité des années. Leurs témoignages sont traversés par une même constante : avoir subi le génocide psychique de l’inceste. Les auteur(e)s ont voulu mesurer avec elles l’impact de cette agression dans la suite de leur vie. Le constat est implacable : leur identité féminine a été durablement atteinte dans sa légitimité à être femme, amoureuse et mère. Si la violence subie a effracté leur corps, elle s’est tout autant attaquée aux images des idéaux qui régulaient leur rapport au monde. La sidération induite par cette perte du sentiment d’unité somatique et psychique, nécessaire à la construction progressive de tout enfant, se perpétue bien au-delà l’agression subie. Les effets destructeurs de la dissociation imposée entre le corps et l’esprit ne disparaissent jamais totalement, pouvant réapparaître sous forme de retours traumatiques. Les stigmates induits se manifestent sous la forme d’une sexualité perturbée, d’une image de soi dégradée et d’une maternité fragilisée. Les traces laissées dans la mémoire de la peau et des sens ont colonisé la mémoire. Ces odeurs, cette transpiration, cette pression des mains, ce timbre d’un gémissement de l’agresseur peuvent resurgir n’importe quand, mais le plus souvent au coeur de la relation amoureuse vécue comme un rapport de force, enfermant l’adulte dans la honte de la souillure ressentie par la petite fille. La découverte de la grossesse peut aussi provoquer ce retour d’angoisse et de malaise identitaire, aux antipodes de l’évènement heureux qu’il devrait constituer. Comment entrer dans le processus harmonieux de la maternité quand les repères fondamentaux entre génération ont été détruits (respect du corps, interdit de l’inceste) ? Le doute s’installe. L’insécurité grandit. L’enfant à naître sera-t-il un futur violeur (si c’est un garçon) ou une inévitable victime (si c’est une fille) ? La peur du corps à corps peut provoquer une relation fusionnelle (par identification massive à l’extrême vulnérabilité du nourrisson) ou rejetante (l’allaitement ou le nursing réveillant alors la hantise de l’incestualité). Le travail psychique permettant de remettre la pensée en mouvement et de retrouver l’équilibre perdu nécessite un accompagnement bienveillant et fiable, d’une durée variable selon les victimes.

Jacques Trémintin


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