N° 1268 | Le 3 mars 2020 | Critiques de livres (accès libre)
Une époque formidable
Nous voilà plongé(e)s aux lendemains de la seconde guerre mondiale. Véronique Blanchard redonne la parole à ces « mauvaises filles » qui avaient le malheur de ne pas se soumettre à la loi du genre. Le modèle patriarcal leur programmait pourtant un avenir tout tracé : prendre soin de leur foyer, de leur mari et de leurs enfants. Rebelles, à la recherche d’émancipation ou tout simplement fuyant une famille rigide, maltraitante ou trop pauvre, certaines refusèrent cette destinée et se tournèrent vers les lumières, les bals et les bistrots. Mais, là où les garçons de leur âge étaient légitimes à sortir en ville, rencontrer leurs amis, flirter, écouter de la musique, boire un verre, elles étaient accusées de traîner dans la rue, d’avoir de mauvaises fréquentations, de perdre leur virginité, de se débaucher et de s’enivrer. Leurs comportements ne pouvaient être tolérés par la société de l’époque qui s’empressa de pathologiser leurs attitudes comme autant de défaillances psychiques : comment accepter qu’une fille biologiquement faite pour être douce et docile puisse imiter les postures que les garçons tiennent de leur nature virile ? Et de réagir en se fondant sur la surveillance étroite et la claustration. Mettant en oeuvre le droit de correction paternelle, les juges des enfants ordonnaient en bon père de famille, et les assistantes sociales exécutaient en bonne mères. Les impudentes étaient orientées vers les internats du Bon Pasteur censées les remettre au pas de l’ordre moral dominant. Les plus inéducables étaient incarcérées. Restait, pour beaucoup… ce mariage qui les enfermerait définitivement dans le rôle d’épouse et de mère, seule norme vertueuse acceptable. L’affranchissement (encore aujourd’hui loin d’être acquis) mettra quelques décennies avant de commencer à advenir.
Jacques Trémintin
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