N° 1021 | Le 9 juin 2011 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

Filmer, ficher, enfermer. Vers une société de surveillance

Sous la direction d’Evelyne Sire-Marin


éd. Syllepse, 2011 (139 p. ; 7 €) | Commander ce livre

Thème : Insécurité

Notre société est dévorée par la tentation sécuritaire. La fondation Copernic nous propose ici un état des lieux particulièrement inquiétant de cette mutation qui, au nom de la protection et de la sécurité de nos compatriotes, s’attaque à leur sûreté telle qu’elle a été définie par le législateur de 1789 : protéger le citoyen de l’arbitraire et des tentatives du pouvoir politique de restreindre les libertés individuelles. Les vingt et une lois qui se sont succédé, depuis neuf ans, ont promis chacune d’éradiquer tout risque, quel qu’il soit, en renforçant le pouvoir policier.

Le glissement progressif entre l’anomalie et la pathologie implique des conséquences épistémologiques et politiques graves : tout signe de différence normative suspecte est condamné à être dépisté et contrôlé, en permanence. La surveillance connaît, en conséquence, un développement fulgurant. Cela a commencé par l’explosion de la vidéosurveillance. Toutes les études internationales ont beau établir une disproportion entre le coût induit par cette méthodologie et son efficacité, rien n’y fait. Que les quartiers équipés de ce dispositif, dans une ville comme Lyon, ne vivent pas une diminution plus significative de leur délinquance de voies publiques que les quartiers qui n’en bénéficient pas, importe peu. Le pays se couvre de caméras grâce aux subventions d’un ministère de l’Intérieur qui conditionne ses subventions au ralliement des municipalités à la vidéosurveillance. Ce n’est là que le cheval de Troie d’une technologie de la traçabilité qui s’impose progressivement : la géolocalisation est devenue instantanément possible grâce aux micropuces présentes dans les passeports biométriques, le télépéage, le passe Navigo ou la carte bleue, sans oublier les traces laissées par l’utilisation du téléphone mobile ou par la lecture automatique des plaques minéralogiques…

Tout cela est censé permettre d’identifier et de contenir des dangers errants et virtuels dans le temps et l’espace. Cette radio-identification est chargée d’un mythe : celui de profiler les populations à risque et de prédire ce qui va se passer, avant que cela ne se passe. Elle est complétée par la démultiplication des fichiers. Ils sont passés de 36 en 2006 à 45 en 2008. En 2010, on en compte environ soixante. Leur création ne passant pas par voie parlementaire mais relevant de la prérogative administrative, le gouvernement ne manque pas d’imagination, en la matière pour en concevoir des versions censées couvrir toutes les dimensions de la vie quotidienne, l’enjeu ultime étant leur interconnexion. Et tout cela fonctionne à merveille, puisque s’entassent dans nos prisons les trois catégories principales de prisonniers cibles de cette surveillance que sont les agresseurs sexuels, les malades mentaux et les toxicomanes.


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