N° 1324 | Le 4 octobre 2022 | Critiques de livres (accès libre)
L’un et l’autre
Le poids de l’ordre biologique (la procréation) et légal (le mariage) pèse sur notre modèle normatif d’une parenté biocentrée. Si ses alternatives dans d’autres sociétés contredisent son universalité, l’ébranlement du modèle matrimonial traditionnel par la monoparentalité, l’homoparentalité, la famille recomposée ou encore les nouvelles technologies de la reproduction est venu bousculer les standards de notre normalité. S’appuyant sur une enquête ethnologique auprès d’un corpus de pupilles, René Giraud propose une articulation tout à fait originale entre leur « Ici » et leur « ailleurs ». L’« Ici », c’est la parenté affective et de cœur que l’enfant placé ou adopté tisse avec les adultes l’ayant élevé, qu’ils soient nourriciers ou d’adoption. L’« Ailleurs », c’est l’inscription dans la généalogie de ses géniteurs dont il a été séparé ou qui l’ont abandonné : à tout moment, la quête de ses origines peut le conduire à les rechercher. Enfant de personne et de nulle part, il ne possède ni racine unique, ni filiation directe, ni genèse singulière. Il est rattaché à une prolifération rhizomique et foisonnante d’ancrages multiples qui s’étale dans l’espace et dans le temps. L’« Ici » et l’« Ailleurs » s’entrecroisent, s’entremêlent et s’entrelacent, sans qu’aucun ne disparaisse, se fonde ou se perde dans l’autre. Le pupille n’est relié à aucune des deux parentés, mais aux deux à la fois.
Jacques Trémintin
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