N° 1324 | Le 4 octobre 2022 | Critiques de livres (accès libre)
Le couperet
Deux décrets publiés en 1975 vinrent combler le vide juridique induit par le passage, en 1975, de l’âge de la majorité de 21 à 18 ans. La continuité fut ainsi rétablie pour les jeunes de l’Aide sociale à l’enfance, sous condition qu’ils en fassent la demande et signe un contrat jeune majeur. La réduction du champ de la protection sociale, inhérente aux restrictions budgétaires, induisit le délitement de cette prise en charge à compter des années 2010. À commencer par la Protection judicaire de la jeunesse qui réduisit drastiquement sa ligne de crédit destinée à financer la protection judiciaire jeune majeur. Certains Conseils départementaux mirent un terme à la protection administrative, quand d’autres cherchèrent à en diminuer le périmètre, soit en posant des conditions toujours plus exigeantes, soit en les limitant à de courtes durées. Apparut la notion de « grand mineur » devant s’inscrire dans une dynamique de parcours pour la préparation à l’autonomisation, subterfuge cachant à peine le véritable objectif : désengorger un dispositif de plus en plus saturé, en libérant des places. D’autres pratiques touchant aux limites de l’éthique furent appliquées, tels les placements low-cost à un prix de journée pouvant aller jusqu’à 60 % inférieur aux dotations prévues pour les mineurs. Mais aussi l’orientation vers des Centres d’hébergement et de réinsertion sociale, sans aucune considération des effets que pouvait avoir le mélange de jeunes encore fragiles avec des personnes elles-mêmes en grande difficulté ! L’insécurité se substitua à une protection universelle devenue facultative et la performance remplaça la solidarité. Des jeunes adultes vulnérables ne disposant ni de ressources, ni de logement, ni encore d’emploi et pour l’immense majorité sans aucun soutien moral, financier d’une famille souvent peu fiable dont ils s’étaient éloignés depuis tant d’années, furent abandonnés, devenant des sans-feu et des sans-lieu. La nécessité d’un seuil de passage et d’une temporalité avant de rentrer dans le monde adulte peut bien être reconnue pour tout jeune adulte. Il lui est dénié, dès lors qu’il sort de l’ASE. À lui seul on demande d’être maître de toutes ses facultés, d’avoir intégré les normes sociales et d’opter pour des choix libérés de son histoire et de son environnement. Seul un élargissement de la protection jusqu’à 25 ans rétablirait la justesse et la justice de l’accompagnement.
Jacques Trémintin
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