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26 septembre 2022
► Plonger et rebondir : l’intégrale - Incontournable burn out
Lien Social a consacré son numéro 1320/1321 aux questionnements qui traversent une action sociale en pleine crise. À la marchandisation, la rigueur budgétaire et perte de sens … répondent l’épuisement, prise d’initiative, réactivité, créativité et dynamisme. « Plonger et rebondir » a reçu près d’une cinquantaine de contributions, mais n’a pu en publier qu’une vingtaine. L’occasion de présenter sur notre site certaines des contributions que le lecteur n’a pas retrouvées dans la revue.
LS 1320-21 - Souffrance dans le travail social • Plonger ou rebondir ?
Par Ka Morin Je suis éduc en milieu ouvert dans le Lot, j’ai 48 ans, autant dire que j’ai bourlingué. Tous les trois ans, je change de service, autant dire que j’ai vécu mille vies. Et j’y retourne, plus vaillante que jamais, avec du désir et de l’énergie à diffuser, des choses à transmettre, des mots à entendre, des peines à panser, des choses à murmurer lorsque l’autre peut enfin les entendre, humblement, respectueusement. Je rencontre, j’accueille, j’accompagne, j’écoute. Je me tais beaucoup. Je pèse chaque mot. J’accepte de mouiller la chemise, je sais souffrir avec, je n’ai peur de rien et je ne suis que rarement ébranlée lorsque je suis sur le terrain. C’est après que ça peut piquer. Dans les heures pâles des aubes froides de l’hiver. Au détour d’une rue, d’une rencontre encore épuisante, parce qu’à chaque fois, je donne tout. C’est un art de vivre en quelque sorte. Je suis éducatrice à cœur et à corps perdu, 24 heures sur 24, 365 jours par an. Aujourd’hui, je suis l’éducatrice référente de 29 enfants, au sein d’un service d’AEMO/AED mais mon action s’étend à l’ensemble de mes concitoyens : de la naissance à la mort, chacun est éducable. Je fais ma part ; il faut tout un village pour éduquer un enfant. Je ne détourne jamais les yeux et si je vois un problème sans ne rien en faire, je fais partie du problème. Les petits, de 0 à 18 ans donc, m’appellent madame Guillaume, madame l’éducatrice, Karine. En banlieue parisienne où j’ai vécu 46 ans, ils m’appelaient la daronne. C’est une marque de respect, celui que j’ai moi-même semé et dont je récolte chaque jour les beaux fruits en voyant ces jeunes gens s’ouvrir à tous les possibles. Je montre l’exemple : profondément respectueuse de l’Autre dans son entièreté, son étrangeté, sa différence, j’accueille chacun avec ses béquilles, sa caboche fêlée, ses valises qui sont des tonneaux des Danaïdes, ses mauvaises manières, son racisme à deux balles ou sa crainte irrationnelle des homos. Et la tâche est immense et gratifiante. Je vois les enfants les plus terribles s’apaiser après la rencontre. Ils repartent un peu allégés de leur lourde peine. Je vois les parents se redresser et se mettre à réfléchir à leur posture parentale. A accepter de chercher avec moi ce qui pourrait être amélioré. En simple passagère, je partage un bout de chemin avec eux, chacun en route vers soi, côte à côte, dans une relation horizontale. Moi, j’éduque. C’est mon plus beau métier du monde. Je ne sais qu’éduquer. Et aimer mon prochain. Si à 48 ans, t’es travailleur social et que t’as pas fait de burn-out, change de branche. T’as pas la fibre. Tu crains le naufrage. T’as pas assez la foi. T’as pas les épaules. Et il faut des épaules larges et robustes pour accueillir la douleur d’un enfant. La détresse d’un père meurtrie, d’une mère effrayée qui en devient effrayante. Je me fracasse mais je me soigne. J’ai encore suffisamment de chaos en moi, pour mettre au monde mille étoiles dansantes. Et autant de beaux projets éducatifs.