N° 1297 | Le 8 juin 2021 | Par Angélique F., psychologue pour enfants | Espace du lecteur (accès libre)

L’Hôpital

Thèmes : Abus sexuel, Psychologie

Intervenir, en tant qu’experte psychologue, dans une unité hospi­ta­lière d’accueil pour des mineurs victimes d’agression sexuelle per­met de s’interroger sur ce que peuvent vivre les enfants venus y déposer leur témoignage.

J’écris des visages et je dessine des cauchemars.
C’est l’hiver, les enfants arrivent à l’Hôpital.
C’est un Hôpital un peu spécial où les médecins n’ont pas de bonbons pour les enfants courageux et les infirmières n’ont pas de pansements.
C’est un Hôpital où on ne guérit pas.
C’est un Hôpital où les enfants ne sont pas malades.
C’est un Hôpital qui devrait soigner les gens atteints de la maladie des violences mais il y a trop de monde. Alors ce sont les enfants qui viennent.
Parfois toute la famille les accompagne, comme le font les supporters dans les stades pour soutenir leur équipe favorite. Parfois, ce sont les deux parents. Parfois, l’un d’entre eux. Parfois, un seul parent vient à l’Hôpital et s’écroule au sol, devant nous. La plupart du temps, il restera inanimé.
Parfois, il arrive qu’un adulte faisant partie de la vie de l’enfant l’accompagne. Souvent, c’est un adulte qui pense aussi que les personnes atteintes de la maladie des violences devraient entrer à l’hôpital. Celui des malades, qui peuvent guérir un jour.
Mais on a peut-être oublié qu’il fallait protéger les enfants. On a peut-être oublié comment il fallait faire. Alors on attend que l’enfant parle. On attend qu’il soit entendu. On attend qu’il rencontre la bonne personne. Parce que c’est toujours l’histoire de deux personnes.
Robotiquement, les enfants annoncent leur arrivée à l’accueil de l’Hôpital et se dirigent vers la salle d’attente, avec la personne qui leur tient la main. On l’appelle la salle qui attend que les enfants partent : le brouillard. Au travers de la brume épaisse, on peut apercevoir divers objets mis à disposition de l’enfant. Ce sont des jeux, affirme-t-on.
Pourtant, ces objets ont cessé d’être des jeux, dès l’instant où ils sont entrés eux aussi dans cet Hôpital. Les enfants ne les utilisent jamais pour jouer, mais pour panser.
Et puis, le nom de l’enfant est prononcé à haute voix. L’enfant est appelé. Le gendarme, le médecin, la psychologue. On vole à nouveau leur identité, leur personne.
Les adultes qui tiennent la main des enfants se statufient. Les enfants deviennent des marionnettes. Ils vont de salle en salle pour répéter le cauchemar qui se produit le jour.
L’insouciance est questionnée, examinée sous toutes les coutures et analysée. L’enfant peut repartir sans. Il est libéré.
Certains enfants ressortiront de cet Hôpital un peu spécial, au printemps. D’autres n’échapperont pas à l’Hiver.
Les professionnels remplissent leur mission. On coche les cases, on suit les directives. On va vite.
Mais on n’oublie pas. Des bribes de récits inachevés tournent en boucle dans la tête. Des images reviennent. Dans notre cœur, la plupart du temps. Et puis, dans nos vies aussi.
Au final, je crois que l’on naît et meurt, dans cet hôpital.