N° 962 | Le 25 février 2010 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Paradoxe étonnant : notre société pacifiée, qui prétend éradiquer toute forme de violence, voit augmenter, d’année en année, le nombre de ses adolescents qui retournent cette violence contre eux-mêmes en se scarifiant.
Plusieurs raisons à cette contradiction. Première piste, la crise de la notion de limite qui est concomitante à la volonté devenue commune de s’affranchir de toute entrave. Le corps social ne fournissant plus de balises à la quête des adolescents, ceux-ci investissent leur peau, pour trouver leurs marques.
Autre hypothèse : la sur-protection entourant l’enfant. Celui-ci, en grandissant, cherche à se dégager de cette gangue étouffante. Éviter l’asphyxie passe par le déchirement de ces liens trop fusionnels : apposer son propre sceau sur le corps légué par ses parents permet de s’émanciper, en témoignant d’un nouveau statut. Pour autant, même si l’on peut considérer ces scarifications comme typiques de la période de l’adolescence, on ne saurait les banaliser, tant les sévices corporels qui les produisent, se rapprochent plus de la torture que de la parure. Cela va de l’automutilation aux tentatives de suicide par section volontaire des vaisseaux sanguins, en passant par les blessures cutanées. Ces conduites n’ont pas de signification univoque qui renverrait à un scénario immuable. Il faut, à chaque fois, tenter de décrypter le passage à l’acte, en tenant compte du contexte du moment.
Dans un premier temps, ces lésions apportent à leurs auteurs un soulagement qui leur donne l’illusion d’une capacité à rétablir les limites de leur souffrance et de réussir à mettre à distance leur corps. Il est essentiel de commencer par regarder puis commenter la blessure qu’ils se sont infligées, après l’avoir soignée, comme preuve de notre capacité à accueillir leur symptôme.
L’étape suivante consiste bien à tenter de produire du sens. Et cela n’est guère facile car les adolescents s’adonnant à ces pratiques parlent peu et se montrent en difficulté, pour verbaliser leur problématique. Avec pour résultat fréquent des contre attitudes de la part des soignants, agacement, découragement et parfois rejet, proportionnellement à leur sentiment d’impuissance. Le risque est grand alors qu’ils ne s’orientent vers le registre de l’intentionnalité, avec des contrats de non passage à l’acte totalement inefficaces. Il n’est pas facile de trouver l’équilibre approprié entre une réponse favorisant la dramatisation (pour faire prendre conscience des risques) et celle privilégiant l’indifférence (pour éviter que l’adolescent n’utilise cet acte pour attirer l’attention sur lui). Mais si ces scarifications signifient au moins une chose, c’est « je vais mal » et « prenez soin de moi » ; alors, la réponse à apporter n’est pas « il ne faut pas faire cela », mais « trouvons comment le faire autrement ».
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