N° 962 | Le 25 février 2010 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Notre corps est une source d’informations multiples dans notre rapport au monde. Le plus souvent, les codes culturels que nous partageons nous permettent une compréhension immédiate des signes que notre corps arbore. Il existe toute une grammaire favorisant l’interprétation de nos différentes postures, chaque geste ou indice visuel pouvant être compris comme interdiction, ouverture, désir, admiration ou répulsion…
Pourtant, il arrive qu’apparaisse une dissonance cognitive entre le langage corporel et sa traduction langagière. D’où l’importance de ne pas s’en tenir aux expressions spontanées et naturelles, mais de prendre le temps d’identifier et de déchiffrer leurs significations plus profondes. Ainsi, en va-t-il des conduites à risque adoptées par certains adolescents, notamment quand ceux-ci mettent en jeu leur enveloppe corporelle.
La plupart d’entre eux optent pour un marquage modéré, esthétique et réversible. Mais ceux qui vont le plus mal n’hésitent pas à inscrire sur eux leur souffrance intime, à la fois pour l’exprimer et tenter de s’en défaire. Au gré de leur histoire personnelle, ils couvent ou écorchent, soignent ou maltraitent, aiment ou haïssent ce corps mature et sexué, qui à la fois les fascine et leur fait peur, depuis qu’il est devenu capable de procréer et d’agresser l’adulte.
Quand les limites manquent, ils vont les chercher à la surface de leur chair, la douleur et la blessure jouant le rôle de butée identitaire. L’effraction de leur propre organisme doit être comprise comme une tentative de reprise de possession de leur existence. L’incision est avant tout une chirurgie du sens : au lieu d’être victime de la douleur, l’entaille permet d’en être acteur. La restauration brutale des frontières du corps stoppe la chute dans la souffrance et provoque la sensation d’être vivant et réel. Si les difficultés de mise en mots de leurs tourments intérieurs pousse certains adolescents vers les passages à l’acte, il s’agit bien plus d’une production psychique que d’une absence de mentalisation. Car le langage de l’indicible trouve là une façon d’exprimer la blessure narcissique, une soupape de sécurité évitant l’explosion et un déversoir destiné à drainer le mal-être et à réguler les débordements internes.
Il est essentiel de ne pas enfermer ces actes dans des désignations cliniques stigmatisantes (automutilations, auto-agressions, masochisme…). Ce sont avant tout des appels à vivre et des appels à l’aide. Être capable d’y répondre avec pertinence, c’est permettre le passage entre ces expérimentations visant à s’éprouver et une symbolisation favorisant l’investissement du corps comme interface dans les relations avec les autres.
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